Bpifrance : une banque comme une autre ?

Actualités par Jamel Azzouz

Un an après sa création, la Banque publique d’investissement, dont l’État et la Caisse des dépôts se partagent le capital, n’a pas encore tenu toutes ses promesses malgré la gamme d’aides offertes aux entreprises (prêts, prises de participation, garanties bancaires...) et une capacité d’engagement financier de plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Un bilan globalement positif. Voilà comment on pourrait résumer la première année d’activité de la Banque publique d’investissement, baptisée Bpifrance et issue du regroupement, en juillet 2013, des services publics de financement d’entreprises Oséo, de la Caisse des dépôts et consignations (CDC Entreprise), du Fonds stratégique d’investissement (FSI), du FSI Régions, ainsi que de l’Agence française pour le développement international des entreprises (Ubifrance), dont l’État et la Caisse des dépôts et consignations sont actionnaires à parité.

Selon les chiffres collectés et présentés le 14 février dernier par son directeur général, Nicolas Dufourcq, Bpifrance a aidé financièrement les entreprises à hauteur de 10 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année dernière. Neuf milliards d’euros ont été octroyés sous forme d’aides directes ou indirectes aux entreprises. Cinq milliards ont été alloués au titre d’aides à l’innovation et de cofinancement à moyen ou long terme avec d’autres investisseurs. Les quatre milliards restants ont été attribués sous forme de prêts à court terme pour venir en soutien de trésoreries d’entreprises plus ou moins défaillantes.

Bpifrance a garanti en outre 8 milliards d’euros de prêts bancaires, garantie sans laquelle les entreprises, petites ou grandes, n’auraient pas eu accès à ces prêts sur le marché. Elle a également investi plus d’un milliard en capital dans des entreprises, dont 367 millions d’euros via des prises directes de participation minoritaires, destinées à consolider les fonds propres d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou de sociétés cotées en Bourse. Quelque 121 millions d’aides financières directes ont été aussi alloués aux PME. Tout cela conformément aux missions qui lui ont été dévolues par la loi du 31 décembre 2012, à savoir le soutien direct ou indirect aux premiers besoins d’investissement et de développement des entreprises : financement à court terme ; aides et crédit à l’export ; aides à l’innovation ; cofinancements, garanties d’emprunts, participation au « rayonnement » des grandes sociétés et à la stabilisation de leur capital ; avance pour le Crédit impôt compétitivité emploi (CICE) et le Crédit impôt recherche (CIR).

Banque d’affaires, fonds souverain ou Business Angel ?

En fait, Bpifrance s’est comportée, selon les cas, en banque d’affaires, en fonds souverain (fonds public de placements financiers en actions ou obligations) et en Business Angel (investisseur dans une entreprise potentiellement innovante avec accompagnement et mise à disposition de compétences et de réseau). Et pour cause, étant le fruit du regroupement de plusieurs entités d’intervention étatique existantes, elle a continué à utiliser les instruments d’aides aux entreprises déjà disponibles, comme Oséo (ex-Anvar) avec les PME, à travers la fameuse garantie bancaire, indispensable aux chefs d’entreprise pour obtenir une ligne de crédit des banques. Quelque 70 000 d’entre elles ont ainsi pu bénéficier en 2013 de ce type de garantie. Quant aux 42 implantations régionales de Bpifrance, elles correspondent peu ou prou au maillage territorial des entités que la banque publique chapeaute aujourd’hui. À propos du financement des grosses PME à travers des investissements en fonds propres, Bpifrance a pris peu de participations dans ce genre d’entreprises en comparaison avec ce que faisait justement Oséo. En 2012, Oséo avait ainsi investi 162 millions d’euros dans 115 entreprises, alors que Bpifrance s’est contentée, en 2013, de 91 opérations pour un total de 121 millions d’euros. En 2014, elle a légèrement relevé ses objectifs : 120 investissements et une enveloppe de 170 millions d’euros. M. Dufourcq a préféré souligner l’engagement de la banque publique auprès des très petites entreprises (TPE), qui a permis de financer directement 8 500 d’entre elles. « Une révolution », selon lui, car « jusqu’ici on garantissait les crédits privés des banques privées faits aux TPE », sans accorder de prêts directs.

L’innovation comme credo

S’agissant du credo de Bpifrance que constituerait l’innovation, là aussi en comparaison avec l’année précédente, le montant global du concours s’est réduit de 2%, passant de 763 millions à 747 millions d’euros. Cette année, elle s’est fixé comme objectif d’atteindre 985 millions d’euros. À sa décharge, certaines de ses offres sont encore méconnues, à l’instar de l’Aide pour le développement de l’innovation (ADI), pouvant permettre aux entreprises de moins de 2 000 salariés de financer une partie de leurs projets R&D et d’innovation « comportant des travaux de recherche industrielle et/ou de développement expérimental et qui présentent de réelles perspectives de commercialisation ». Une aide de type subvention ou prêt à taux zéro, qui n’a profité à ce jour qu’à 300 entreprises pour un montant de 72 millions d’euros. Le directeur général de Bpifrance a promis de soutenir, à l’avenir, davantage les TPE et PME dans les besoins identifiés par les implantations régionales (90% des décisions étant prises en région). Il a également annoncé la création de deux nouveaux prêts pour l’innovation. Un « prêt d’amorçage investissement », pour compléter toute levée de fonds dans la limite d’un plafond de 500 000 euros, et un nouveau « prêt d’innovation », afin de stimuler les activités à l’export des PME. Enfin, vient d’être lancé « France Investissement Régions », un nouveau fonds d’investissement susceptible de booster les petites PME dites de croissance. Doté de 40 millions d’euros, il ciblera les investissements compris entre 150 000 et 500 000 euros. Son but sera de favoriser les prises de participation minoritaires dans les entreprises patrimoniales réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 2 millions d’euros.

Une force de frappe de 42 milliards d’euros

À l’autre bout de la chaîne, les ETI et les sociétés cotées ont continué à être soutenues, dans le prolongement de ce que faisait déjà le FSI, ce fonds souverain à la française de la CDC, qui avait été créé en 2008 pour donner de sérieux coups de main aux grandes entreprises pour résister à la crise, quitte à prendre pied dans une dizaine de sociétés du CAC 40. Des sociétés où le FSI est resté via des participations minoritaires indispensables à certains pactes d’actionnaires. C’est le cas d’Eramet, où il est entré en 2012 au capital de ce métallurgiste pour 900 millions d’euros. Encourager les grandes entreprises à être cotées en Bourse est l’autre credo de Bpifrance. Cette année elle devrait ainsi faciliter l’entrée en Bourse de la multinationale de transport maritime CMA CGM, dont elle est actionnaire à hauteur de 150 millions d’euros. Toutes entreprises confondues, Bpifrance est devenue, par la force des choses, le premier investisseur en fonds propres en France. Néanmoins, assure M. Dufourcq, le rôle de la Banque publique doit rester « celui d’un agent tiers de confiance », qui va attirer les capitaux privés. En prenant des participations minoritaires dans des fonds privés (500 millions d’euros en 2013), il explique que cela a drainé un flux d’environ 2,5 milliards de capitaux privés sur la période. Grâce à ces « effets levier » ou d’entraînement, c’est ainsi qu’il compte « favoriser le développement économique des Régions », « participer au renouveau industriel de la France », et « faire émerger les cham-pions de demain ». Rien n’est moins sûr pour FO si la Banque publique continue de s’inspirer trop des stratégies des compagnies financières privées, qui ne visent qu’à favoriser un écosystème déjà « fertile », au détriment des entreprises en difficulté, ayant plus que d’autres besoin d’un effet de levier d’investissements publics pour réactiver un projet, notamment industriel, au service de la pérennité de l’emploi, à défaut de son développement. Avec un potentiel d’engagement financier de l’ordre de 42 milliards d’euros en année pleine, rien a priori ne lui interdit de soutenir ces entreprises et leurs salariés, si ce n’est l’idéologie ambiante.

Jamel Azzouz Journaliste