OEA, le « contrat de confiance » des grandes entreprises

L’américanisation des douanes par Mathieu Lapprand

« Avec le statut d’Opérateur économique agréé (OEA), la douane offre aux entreprises un passeport à l’international et une compétitivité à moindre coût », explique Hélène Crocquevieille, directrice générale des Douanes. L’un des axes de la réforme portée par cette direction vise à transformer un corps de contrôle en corps d’accompagnement. Les douanes ont donc aujourd’hui dans leur responsabilité la tâche de favoriser et fluidifier le commerce international.

En cause, le statut d’Opérateur économique agréé (OEA) défini par le tout nouveau code des douanes de l’Union, entré en vigueur en octobre 2013. Selon Hélène Crocquevieille, « la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) accorde sa confiance aux entreprises qu’elle a pu juger comme fiables au regard d’un référentiel qualité ». Mais cette procédure ne fait pas l’unanimité des douaniers. « On va vers un système anglo-saxon : on ne fait plus de contrôle, on fait des audits. Et lorsqu’une boîte est auditée, on lui donne l’agrément et alors les contrôles sont beaucoup plus faibles », explique Frédéric, douanier en uniforme à Delles (90). Et l’audit réalisé n’est pas un audit douanier, il s’agit d’un audit des modes de fonctionnement, des processus de l’entreprise. Le millième certificat OEA a été délivré en janvier dernier, mais l’objectif pour 2018 est plus large : la directrice des douanes vise les 10 000 entreprises certifiées à cette échéance.

« Il y a six ans, les bijoutiers nous amenaient leurs produits et c’est la douane qui garantissait la qualité de l’alliage utilisé. Aujourd’hui des bijoutiers sont agréés, font les analyses et apposent les poinçons. On fait donc confiance », précise Cédric, douanier à Annemasse (74), qui poursuit : « Pourtant, on sait qu’en pé­riode de crise la fraude et les tentatives de fraude augmentent mécaniquement. »

Au-delà de la question des effectifs, c’est donc bien aussi le changement de nature de leur métier que les douaniers contestent. Et Frédéric de poursuivre : « L’inter-régio­nalisation des services d’enquêtes et des services de renseignement va aussi mécaniquement réduire la fréquence des contrôles : avec des distances plus grandes à parcourir, avec moins d’effectifs les contrôles vont diminuer. » Le renseignement, au cœur de l’activité des douaniers, sera donc également impacté par la distance accrue entre les centres interrégionaux et les zones d’intervention.

La dématérialisation ou le contrôle par le big data

La dématérialisation des procédures est l’un des leitmotiv de la réforme proposée. Comme pour la MAP, c’est un argument massue pour justifier nombre de suppressions de postes, des concentrations et des regroupements. Pour autant, les douaniers rappellent « qu’ils gèrent des flux de marchandises, qu’ils sont liés à la matière ». Or dorénavant, c’est essentiellement un système informatique (qui analyse l’ensemble des procédures dématérialisées) qui leur dira quelle marchandise contrôler en fonction des anomalies qu’il aura identifiées...

D’un côté, la DGDDI se félicite de la qualité du travail des douaniers, des saisies réalisées et le gouvernement réaffirme sa volonté inébranlable de lutter contre l’évasion fiscale, et de l’autre côté, au nom de la fluidification du commerce international, les procédures de contrôle sont amoindries pour un nombre croissant d’entreprises et les moyens humains diminuent de 2,5% par année. Malgré les discours des tutelles, cette confiance permet de justifier les réductions d’effectifs. Elle affaiblit les capacités de contrôle de la douane et promeut « l’accompagnement » des grandes entreprises.

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante