La récession pour tous !

InFOéco n°67 du 24 mai 2013 par Pascal Pavageau

On ne peut pas dire que cela soit une surprise malgré tous les efforts de communication et les formules déployés pour nous assurer que la France pouvait sortir de l’ornière comme par magie et échapper au scénario noir.

Nous indiquions d’ailleurs dans le précédent info-éco consacré à la conjoncture (n°63 du 6 mars 2013) ne pas voir comment l’économie française pourrait échapper à la récession dans les prochains mois. Cette analyse s’avérait - malheureusement- justifiée.

Le 15 mai dernier, l’Insee a publié les premiers résultats des comptes nationaux trimestriels pour le début de l’année, confirmant un recul du PIB (en volume) de -0,2 % qui fait suite à un repli équivalent (-0,2 %) au dernier trimestre 2012. Au total, il s’agit de la troisième baisse trimestrielle observée sur un an, seul le troisième trimestre 2012 affichant une très modeste progression de +0,1%. Compte tenu de la définition technique (deux trimestres consécutifs négatifs), l’économie nationale est donc officiellement en situation de récession.

Dans le même temps, l’Insee a sorti une synthèse sur les comptes de la nation en 2012 [1] avec un sous-titre pour le moins éloquent « le PIB stagne, le pouvoir d’achat recule ». On n’y apprend que la croissance économique française a été nulle en 2012 (en euros constants). Cette stagnation macroéconomique de l’activité est la conséquence d’une série de facteurs défavorables : réduction des investissements des entreprises (-0,8% après les -1,9% constatés en 2012), repli de l’investissement logement des ménages (-1,4%) et dépenses de consommation en berne (pour la première fois depuis 1993 !). A ces facteurs, il faut ajouter la baisse des dépenses d’interventions de la puissance publique (État et collectivités territoriales). Moins de commandes publiques, c’est moins d’activités dans de nombreux secteurs, à commencer par le BTP et les services.

Côté prévisions, le Président de la République a reconnu que la croissance ne serait pas non plus au rendez-vous cette année alors que le ministre de l’Economie persiste à feindre un optimisme sans fondement statistique compte tenu de la tendance de fond à l’œuvre. La question est maintenant de connaître l’ampleur du recul de l’activité. Pour sa part, la Commission européenne a d’ores et déjà annoncé une récession en France sur l’année 2013, anticipant pour l’instant une baisse du PIB de 0,1%.

1. Consommation et pouvoir d’achat des ménages déprimés comme jamais :

Après un net ralentissement en 2011, les dépenses de consommation des ménages virent dans le rouge en 2012 en baissant de 0,4 % (en euros constants). Pour prendre la mesure de ce résultat, il faut bien voir que le dernier chiffre annuel négatif pour la consommation remonte à 1993, de l’ordre de -0,2 %, une année de récession, et que cela ne se produit que pour la deuxième fois depuis l’aprèsguerre ! Les biens d’équipement, qui s’en sortent le mieux freinent malgré tout (4,2 % contre 6,8 % en 2011) et comme on le sait les achats d’automobiles plongent à -7 %. De leur côté, les dépenses de services ont ralenti (progression de 0,4 % après 1,2 %).

D’après les dernières données, le mouvement s’est poursuivi sur le premier trimestre 2013 avec des dépenses de consommation demeurant désespérément faibles (-0,1 % après la stabilité observée fin 2012). Pourtant, le poste des dépenses énergétiques connaît une hausse significative (+5 %) en raison des rigueurs de la période hivernale mais dans le même temps les achats de produits manufacturés se contractent à nouveau (- 0,9 %), en particulier dans le secteur sensible de l’automobile (-5,8 %). Et pour couronner le tout, les dépenses en services se replient à leur tour (-0,1 %), notamment dans les secteurs de l’hébergement-restauration et les services de transport.

Cela signifie concrètement que la consommation des ménages ne soutient plus l’activité économique alors qu’elle est un pilier traditionnel de l’activité dans notre pays, y compris lorsque les autres facteurs de croissance sont à la peine.

Au rayon des évolutions statistiques évènementielles et en rapport direct avec le trou d’air de la consommation, le pouvoir d’achat du revenu disponible enregistre également un recul de 0,9 % (+0,7 % en 2011). Cet indicateur un peu obscur concerne l’ensemble des ménages et si on considère l’augmentation de la population sur la période, le pouvoir d’achat par individu (dit par unité de consommation) connaît même une baisse plus significative de 1,5 %, après une stabilité en 2011. Il s’agit tout bonnement de la plus forte décrue observée depuis l’année 1984 (-1,9 %). Et comme nous avons affaire à une moyenne, il est évident que ce chiffre masque des réalités beaucoup plus dégradées et douloureuses pour un grand nombre de personnes et singulièrement de travailleurs salariés, de retraités et de chômeurs.

L’Insee attribue cette baisse à un ralentissement des revenus d’activité et du patrimoine alors que dans le même temps les impôts courants ont connu une accélération en raison des mesures fiscales votées par le gouvernement en place mais aussi sur la fin de la précédente mandature. En lien avec la situation très délicate de l’emploi, la masse salariale nette subit mécaniquement un ralentissement (+1,6 % contre +2,5 % en 2011).

Face à ces tendances inquiétantes, le gouvernement ressort une vieille ficelle avec une loi sur le déblocage épargne salariale [2]. Les mesures similaires mises en oeuvre ces dernières années ont pourtant fait la preuve de leu inefficacité pour dynamiser la consommation des ménages. Et Force Ouvrière analyse cette option comme l’aveu d’une faiblesse persistante du pouvoir d’achat qui ne permet plus d’assurer une bonne tenue des dépenses de consommation, confirmant du même coup la légitimité des revendications salariales portées par notre organisation.

2. L’emploi toujours plus mal en point :

Comme on le sait, la conjonction des mauvais indicateurs économiques se traduit par une dégradation continue de l’emploi. Le secteur marchand a ainsi perdu à nouveau 134 000 emplois au premier trimestre 2013 comparativement au premier trimestre 2012.

Dans son estimation flash de l’emploi salarié pour le premier trimestre 2013, l’Insee détaille son évolution sectorielle. Dans les secteurs marchands non agricoles, l’emploi perd au total 20 300 postes, en recul de 0,1 %, après la perte de 44 600 au quatrième trimestre 2012. L’industrie recule de 0,4% et la construction de 0,3 % tandis que l’emploi tertiaire reste globalement stable.

De son côté, l’emploi intérimaire redémarre doucement après de longs mois dans le rouge depuis mi-2011, en hausse de 11 400 postes (+2,2 %). Sur un an, l’intérim affiche malgré tout un repli de 46 500 postes, ce qui correspond à 8,2 % de ses effectifs. Si on excepte l’intérim, l’emploi marchand baisse donc 31 700 unités sur les trois premiers mois de l’année (-0,2 %).

3. Changer au plus vite de politique économique !

Tous ces indicateurs ne sont évidemment pas les signes d’une économie en sortie de crise. Ils témoignent bien au contraire de l’inadaptation criante de la politique économique menée au cycle économique dépressif dont on ne voit plus la fin.

Si on se place dans une perspective plus longue, il faut en effet constater que fin 2012, soit cinq ans après le début de la première phase de la crise financière, le PIB de l’économie française n’a toujours pas renoué avec son niveau atteint à l’époque ! Le volume de production réalisé actuellement est donc toujours inférieur à celui de 2007. Et dans l’intervalle, le chômage a progressé dans des proportions importantes.

Une légère reprise avait pourtant semblé s’amorcer dans le courant de 2009 mais elle s’est bien vite essoufflée dès la mi- 2010 sous l’effet des politiques d’austérité mises en oeuvre en Europe mais aussi en France dès cette époque et amplifiées les années suivantes.

Comme l’austérité reste le trait commun des politiques économiques appliquées en Europe, elle ne fait que produire des effets cumulatifs qui freinent encore davantage l’activité, sachant que la France réalise 60 % de ses exportations au sein de l’Union européenne. Face à la conjoncture déprimée sur le continent, aucune bouffée d’oxygène n’est par conséquent à attendre de l’extérieur.

A ce titre, le délai de deux ans accordé par la Commission européenne pour respecter ses engagements budgétaires, les fameux 3%, d’ici 2015, est un répit en trompe l’oeil dans la mesure où la France a accepté en contrepartie d’accentuer les réformes structurelles ! En clair, une invitation – pour ne pas dire une pression – au gouvernement français pour accélérer le processus de réduction des dépenses publiques, en particulier dans le domaine des retraites. Le retour en force du financement des retraites dans le débat

 Voir en ligne  : InFOéco n°67 du 24 mai 2013 [PDF]

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

Notes

[1Disponible sur le site de l’Insee : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1447/ip1447.pdf

[2Le texte, présenté au parlement dans le cadre d’une procédure accélérée, a été adopté à l’Assemblée Nationale le 13 mai et sera examiné le 28 mai au Sénat.