« Le pacte de responsabilité ne marchera pas »

En guise d’éditorial de Jean-Claude Mailly par Jean-Claude Mailly

Interview de Jean-Claude Mailly | Libération le 10 juin 2014

La politique de l’offre en faveur du patronat vous convient-elle ?
C’est une erreur. Le socialisme de l’offre est d’ailleurs un oxymore à mes yeux. D’autant que l’on regarde le problème par le petit bout de la lorgnette. Le pacte de responsabilité ne retient ainsi, comme élément de compétitivité, que l’allégement du coût du travail, alors que celui-ci ne représente que 20% du coût global de production. Ce pacte est également un marché de dupes, avec un allégement de 41 milliards d’euros du coût du travail et de la fiscalité pour les entreprises, contre 5 milliards pour les ménages. Ce type de politique économique a un effet récessif, tout en fragilisant les structures de solidarité - les régimes sociaux -, mais aussi une partie du service public. Ça ne passe pas, et ça ne marchera pas. Mais le président de la République reste braqué dessus, comme s’il ne pouvait pas y toucher.

Les employeurs sont censés s’engager, notamment sur l’emploi…
Dès le début, nous avons dit qu’obtenir des contreparties était illusoire, en raison du caractère général de l’aide, fiscale ou sociale. Vous ne pouvez pas exiger d’une entreprise qu’elle embauche ou qu’elle augmente les rémunérations. Vous pouvez exiger des contreparties sur des aides ciblées… Là, ce n’est pas le cas. Bref, le patronat a obtenu satisfaction sans avoir à s’engager clairement, y compris dans les discussions qui s’amorcent dans les branches.

C’est une critique de la politique du gouvernement ?
Sur le fond, il n’y a pas de changement par rapport à la précédente majorité. On nous parle de « sérieux budgétaire », moi j’appelle ça de la rigueur et de l’austérité. Certes, le gouvernement a annoncé une baisse de cotisations salariales pour les salariés au Smic, afin d’améliorer leur pouvoir d’achat de 500 euros par an. Mais ce serait quand même plus simple d’augmenter le Smic lui-même, plutôt que d’ajouter une nouvelle usine à gaz ! Avec toujours cet angle de la baisse du coût du travail.

Vous avez signé la convention Unédic qui, entre autres changements, durcit le régime des intermittents…
Environ 2,7 millions de salariés sont indemnisés par l’assurance chômage. Avec les droits rechargeables, on englobe potentiellement 1 million de personnes. Concernant les intermittents, nous avons démarré cette négociation face à un patronat qui voulait supprimer les annexes 8 et 10. Or nous avons obtenu leur maintien. Les intermittents représentent 90 000 à 100 000 personnes. Pour certains, en fonction de leurs revenus, il y aura un allongement du différé d’indemnisation. Mais 72% des comédiens ne sont pas concernés par ce différé, qui par ailleurs ne retire pas de droits. Et tout ce qui est culturel ne ressort pas de l’assurance chômage. Cet accord est équilibré dans un contexte difficile. Nous avons pris nos responsabilités, au gouvernement de prendre les siennes.

Que pensez-vous de la proposition de François Rebsamen de suspendre les seuils sociaux ?
C’est une vieille demande du patronat, qui prétend que les entreprises font un blocage à l’embauche lors du passage de 9 à 11 salariés (délégués du personnel) et de 49 à 50 (instauration d’un CE et d’un CHSCT - sécurité et conditions de travail). Si c’est d’ordre psychologique, alors ce n’est pas un problème de seuil, mais de psy, et il faut consulter. Considérer que des délégués du personnel représentent un frein alors qu’on nous parle de dialogue social est plutôt contradictoire ! Pour FO, pas question de les remettre en cause, même pour « essayer ». Et si on essayait une augmentation du Smic et du point d’indice pendant trois ans ?

Comment analysez-vous les résultats des européennes ?
La politique d’austérité est triplement suicidaire : socialement parce qu’ici ou là des droits sont remis en cause, économiquement parce qu’elle plombe l’activité et fait grimper la dette. Et, au final, démocratiquement. A l’Elysée, ils en ont sans doute conscience, alors pourquoi continuer cette politique ?

Un sondage [1] montre que 33% des électeurs qui se sentent proches de FO ont voté FN…
A la sortie des urnes, on demande aux votants de qui ils se sentent proches syndicalement. Cela ne signifie pas que ce sont des adhérents. Ce type de vote se développe en période de crise, les gens se disant : « Qu’est-ce qu’il faut pour qu’ils comprennent, là-haut ? » Il y a le sentiment que le vote peut créer un électrochoc.

Que faut-il faire ?
Les meetings ou les manifs ne régleront pas le problème. La politique économique et sociale dans laquelle s’inscrit le pacte de responsabilité conduit à ce genre de résultat. Il ne faut pas se tromper de cible.

Quel est le rôle des syndicats au niveau européen ?
Pour la première fois depuis longtemps, la majorité des syndicats membres de la Confédération européenne des syndicats (CES) s’est opposée au pacte budgétaire européen. Nous avons élaboré un programme de relance à hauteur de 2% du PIB, sorte de mini-plan Marshall. Au niveau des instances européennes et des gouvernements, on l’a qualifié, au mieux, de sympathique. En tout cas, il y a une prise de position keynésienne de la CES, à rebours de la logique libérale.

Comment abordez-vous la conférence sociale ?
J’ai fait savoir que si elle se consacrait au pacte de responsabilité, nous n’irions pas, ni dans un atelier s’il était estampillé « pacte ». Il devrait y avoir, de nouveau, et à notre demande, un atelier sur le service public. Mais l’exercice de la conférence sociale me paraît déjà usé.

Recueilli par Frédérique Roussel

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Jean-Claude Mailly Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

Notes

[1Sondage Ifop pour « l’Humanité » du 25 mai auprès de 3 546 personnes.