Le ministre du Travail envisage le gel des seuils sociaux

Représentation des salariés par Mathieu Lapprand

Le gouvernement semble prêt à céder sur une vieille revendication patronale : le gel des seuils sociaux dans les entreprises. Mais sans représentants des salariés, le dialogue social risque fort de tourner au monologue patronal.

Le 28 mai dernier, Pôle emploi annonçait une nouvelle hausse du chômage en avril. Le même jour, hasard du calendrier ou contre-feu médiatique, le ministre du Travail faisait une déclaration explosive : « Les organisations patronales affirment que les seuils de 10 et de 50 salariés constituent des freins à l’embauche. Je dis donc aux organisations syndicales que le meilleur moyen de faire tomber cet argument, c’est de tenter l’expérience. »

« Si cela crée de l’emploi tant mieux, sinon on remettra les seuils en vigueur et l’on n’entendra plus l’argument patronal », a-t-il poursuivi, assumant ainsi que sa proposition était directement issue des cahiers de doléances patronaux. Et cette annonce a effectivement suscité les applaudissements de la CGPME. Le Medef, fidèle à ses habitudes, ne s’en est pas contenté et en a exigé encore plus : pour Pierre Gattaz, son président, un moratoire de trois ans serait évidemment « insuffisant »...

QUAND LES CHIFFRES CONTREDISENT GATTAZ

L’objectif de ce gel serait d’éviter aux entreprises qui dépassent 10 salariés de devoir convoquer des élections de délégués du personnel et pour celles qui atteignent 50 salariés de se doter d’un comité d’entreprise. Pour justifier le gel, un argument est martelé : « Il y a 2,5 fois plus d’entreprises de 49 salariés que de 50 », répète souvent Pierre Gattaz. Sauf que ce chiffre est contesté par une étude de l’Insee parue en 2011. En effet, l’institut montre une différence importante entre les déclarations fiscales des employeurs et les DADS (Déclaration annuelle des données sociales). Si les déclarations fiscales paraissent montrer qu’il y a 2,4 fois plus d’entreprises de 49 salariés que d’entreprises de 50, les DADS réduisent ce rapport à 1,2 : il y a environ 1 200 entreprises de 49 ou 48 salariés et un millier d’entreprises de 50 ou 51 salariés. L’Insee en conclut que « les effets de seuil apparaissent très forts dans les données fiscales, plus faibles avec celles des Urssaf, et quasiment nuls dans les DADS ». Mais considère certaines sources comme plus crédibles que d’autres : « L’effectif en équivalent temps plein des DADS est celui qui correspond le mieux à la définition légale des seuils. Les DADS sont réputées être la source la plus fiable sur les effectifs, devant les Urssaf, puis la source fiscale. » Elle précise encore que les DADS font « l’objet de contrôles administratifs plus approfondis ».

Plutôt que de reprendre les lubies du Medef, le ministre du Travail serait peut-être plus avisé de transmettre cette étude à son collègue de Bercy : l’Insee montre en effet que c’est à proximité de ces seuils que la différence entre les déclarations fiscales des entreprises et les DADS est la plus importante et que cette différence « peut s’expliquer en partie par des comportements de sous-déclaration ».

Les avancées sociales déclenchées par ces seuils :

À partir de dix salariés :
 versement d’une aide au transport ;
 prise en charge partielle de la formation économique, sociale et syndicale ;
 hausse du taux de cotisation pour la formation professionnelle continue.

À partir de onze salariés :
 versement d’une indemnité minimale de 6 mois de salaires en cas de licenciement sans cause réelle ou sérieuse ;
 organisation de l’élection d’un délégué du personnel, sans obligation de résultat.

À partir de vingt salariés :
 cotisation au Fonds national d’aide au logement ;
 disposer d’un règlement intérieur ;
 obligation de travail des handicapés ;
 participation à la construction ;
 hausse du taux de cotisation pour la formation professionnelle continue ;
 repos compensateur obligatoire de 50% pour les heures supplémentaires effectuées au-delà de 41 heures par semaine et de 100% pour les heures effectuées au-delà du contingent.

À partir de vingt-cinq salariés :
 obligation de réfectoire en cas de demande effectuée par 25 salariés ;
 collèges électoraux distincts pour l’élection des délégués du personnel et augmentation du nombre de délégués à partir de 26 salariés.

À partir de cinquante salariés :
 possibilité de désignation d’un délégué syndical ;
 mise en place d’un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et formation de ses membres ;
 mise en place d’un comité d’entreprise avec réunion au moins tous les deux mois ;
 affichage de consignes d’incendie dans les établissements où sont réunis plus de 50 salariés ;
 mise en place d’une participation aux résultats ;
 recours à un plan social en cas de licenciement économique concernant 9 salariés et plus.

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante

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