Cluny Brown : le charme discret de l’émancipation féminine

Livre par Michel Pourcelot

Le Journal d’une femme de chambre qui voulait être plombier. Un... Polonais va changer le cours de sa vie. Les aventures de Cluny Brown est un roman, plus connu au cinéma sous le titre de La Folle ingénue, qui traite subtilement de l’évolution de la condition féminine en Grande-Bretagne à l’aube de la Seconde guerre mondiale.

Orpheline, Cluny Brown vit chez la sœur de sa mère et son mari, un petit plombier vivant à Londres. Un jour de 1938, toujours prête à rendre service, elle le supplée efficacement pour rendre service à un client, qui de surcroît lui offre une boisson alcoolisée. Il n’en faut pas plus pour que l’oncle y voie l’ordre du monde renversé. Il se sent « dépassé ». Et décide qu’il faut « apprendre à la jeune fille à rester à sa place ». Et même l’envoyer « en place ». En clair, la faire engager comme domestique dans une grande famille. Ainsi débutent Les aventures de Cluny Brown imaginées par Margery Sharp (1905-1991), romancière britannique dont on ignore généralement qu’elle a créé Bernard et Bianca, rendus célèbres en 1977 par les Studios Disney, qui gommèrent quelque peu la tonalité antistalinienne du livre.

Cluny Brown, devenue un best-seller, a également connu une adaptation cinématographique dès 1946 par le fameux réalisateur Ernst Lubitsch. Le film sort l’année suivante en France mais intitulé La Folle Ingénue. Titre un peu trompeur, car Cluny, vraie-fausse naïve devant les conventions et les fausses évidences, n’est pas vraiment folle, ni si ingénue. Ce n’est pas vraiment une beauté, ni une intellectuelle, mais elle a de la « personnalité ». Confrontée aux membres d’une riche famille aristocratique, courtisée par un petit bourgeois pharmacien de province, elle finit par échapper au destin de domestique qu’on lui avait tracé dans cette Angleterre où les femmes n’obtinrent vraiment le droit de vote qu’en 1928. Celui-ci leur avait été accordé en 1918 mais sous conditions : avoir plus de trente ans, un âge où la plupart étaient mariées, et une situation économique suffisante. Cluny Brown, elle, part avec un intellectuel polonais. Ce qui ne manque pas de rappeler la vie de la socialiste irlandaise Constance Gore-Booth qui épousa l’écrivain et dramaturge polonais Casimir Markievicz. Un destin qui ne pouvait que plaire à l’auteur, Margery Sharp, qui, sous son écriture légèrement ironique, très britannique, ne cache pas sa volonté de voir la femme s’émanciper de la tutelle masculine. Cluny Brown est un jalon dans cette longue marche.

Les Aventures de Cluny Brown, roman de Margery Sharp, sorti en juin 2015, aux éditions Belfond.
384 pages. Environ 15 €

Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante