Et Thévenet fit tomber Merckx...

Le Tour | Il y a 40 ans

Article publié dans l’action Tour de France 2015

Bernard Thévenet (à gauche) et Eddy Merckx à l’assaut des Alpes en 1975.


Le Tour revient en 2015 à Pra-Loup pour la première fois depuis quarante ans. Ce jour-là, Eddy Merckx, en route vers une sixième victoire sur le Tour, connut une terrible défaillance favorable à Bernard Thévenet. Le règne du « Cannibale » prenait fin...


Dimanche 13 juillet 1975. Ce Tour de France, parti deux semaines plus tôt de Charleroi, en Belgique, doit être celui de la consécration du « roi des Belges ». Eddy Merckx peut devenir le premier coureur à mettre six fois son nom au palmarès de la Grande Boucle. Au matin de cette 15e étape, le « Cannibale » est leader du classement général et il ne reste plus qu’une semaine de course avant l’arrivée sur les Champs-Élysées, qui sera une grande première. L’histoire est donc en marche. Qui peut croire, à cet instant, qu’il s’apprête à vivre le dernier jour de sa vie revêtu du maillot jaune ?

Il faut dire que la domination du Belge agace, ennuie. Depuis de longues années, Merckx écrase le Tour et le reste de la saison cycliste – d’où ce surnom de « cannibale ». Ses adversaires en ont marre, les journalistes en ont marre, le public en a marre. En jaune depuis le 2 juillet, une petite semaine après le départ de Charleroi, Merckx gère son avance, en habitué. Mais un premier coup de théâtre a lieu le 11 juillet, à quelques centaines de mètres de l’arrivée au sommet du Puy-de- Dôme : volontairement ou pas, un spectateur assène un coup de poing au foie du Belge. Souffle coupé et dégoûté, ce dernier conserve son maillot jaune mais il a cédé du terrain.

« SOUDAIN, J’AI APERÇU MERCKX AU DÉTOUR D’UN VIRAGE »

Le jour de repos, le lendemain, tombe à pic. Et le 13 juillet, Eddy semble redevenu Merckx. Sur la route de Pra-Loup, Bernard Thévenet, le principal adversaire du Belge, attaque quatre, cinq, six fois dans le col des Champs, sans réussite. Et dans la difficulté suivante, le col d’Allos, c’est Merckx qui attaque et distance le Français ! Ce dernier accuse une minute de retard au bas de la descente et il ne reste plus que la courte ascension vers Pra- Loup, six kilomètres seulement. Le Tour 1975 semble alors plié, dans la poche de Merckx, inaccessible.

C’est alors que se produit l’impensable. Le colosse belge se met d’un coup à vaciller : il a présumé de ses forces. Peut-être handicapé par les médicaments qu’il a pris après son coup au foie, Merckx voit fondre sur lui l’Italien Felice Gimondi, dont il s’était débarrassé avant le pied du col. La suite, c’est Thévenet qui la raconte : « J’ai pensé qu’il importait, avant tout, de limiter les dégâts, témoignait-il le lendemain dans L’Équipe. Puis soudain, j’ai aperçu Merckx au détour d’un virage. Je me suis un moment calé dans son sillage, pour récupérer un peu, et puis Maurice de Muer [son directeur sportif, NDLR] m’a crié : “Vas-y Bernard, il coince, il est cuit”. Je n’ai plus hésité. Effectivement, Eddy était planté sur cette route. »

Thévenet s’envole, rattrape Gimondi et gagne l’étape. Merckx, lui, en termine à près de deux minutes : en six petits kilomètres de montée il a donc cédé en tout trois minutes. Thévenet prend le maillot jaune, qu’il ne perdra plus jusqu’à Paris. Et c’est la fin du « merckxisme » : ce jour cruel est en effet le crépuscule du Belge qui ne gagnera plus qu’une course majeure, Milan-San Remo (son septième !), l’année suivante, avant de prendre sa retraite en 1977.