Jean-Claude Mailly : « Le gouvernement doit répondre au malaise des fonctionnaires »

Paris Match le 10 octobre 2017 par Jean-Claude Mailly

Pascal Lagrue, Secrétaire de l’Union départementale du Rhône, et Jean-Claude Mailly, Secrétaire général de FO, à Lyon dans la manifestation pour la Fonction publique du 10 octobre 2017. Photo : UD FO du Rhône.

Jean-Claude Mailly, Secrétaire général du syndicat Force Ouvrière, met en garde le gouvernement sur le malaise des fonctionnaires et assure qu’« il y a urgence à donner des signes aux salariés ».

Paris Match. Vous étiez dans un cortège à Lyon mardi aux côtés des fonctionnaires. Que demandez-vous ?

Jean-Claude Mailly. La défense de leur pouvoir d’achat –leur point d’indice est gelé, le jour de carence va être rétabli, la CSG va augmenter. La suppression annoncée de 120 000 postes pendant le quinquennat pose aussi problème. Il faut aussi un débat sur l’avenir des missions de service public. En tant que secrétaire général, j’ai côtoyé quatre présidents de la République. À chacun d’entre eux, je demande la tenue d’un débat sur les missions du service public dans notre République. Ce débat n’a jamais lieu, mais on fait du rabot, de l’idéologie… Les fonctionnaires ressentent une vraie inquiétude sur le sens de leur mission. Beaucoup ont le sentiment qu’ils n’ont plus les moyens de faire leur travail correctement. Le gouvernement doit répondre à ce malaise. Le service public ne peut pas être géré avec les mêmes critères qu’une entreprise privée. C’est le cas à l’hôpital notamment. On laisse entendre aujourd’hui que des missions de service public pourraient être confiées au privé, que les partenariats public/privé (PPP) vont se multiplier… Alors que dans de nombreux pays, ces PPP ne sont pas une réussite. Pour le moment, on en reste à une lecture essentiellement budgétaire, sans dire le sens des choses.

C’est la première manifestation unitaire avec les neuf syndicats de la fonction publique depuis dix ans, cela va-t-il aider à peser ?

J’ai dit au gouvernement qu’il devrait faire attention à cela, qu’il devrait y apporter des réponses et ouvrir des portes d’espoir. Un sentiment général d’injustice est alimenté par les inquiétudes sur les ordonnances, sur l’assurance-chômage, sur les retraites, sur la fonction publique, sur les annonces en matière d’APL et de CSG…

Comment qualifieriez-vous le climat social ?

Je ressens un mélange d’inquiétude et de colère sourde. On entend parler de décisions comme la suppression de l’ISF, la réduction de l’impôt sur les sociétés, conformes à la théorie dite du ruissellement – à laquelle je ne crois pas. Et on se demande ce qu’il y a de positif pour les salariés. Davantage de signes négatifs que de signes positifs sont envoyés pour l’instant.

Après les « fainéants », Emmanuel Macron, à Egletons, a dit à propos des manifestants de l’usine GM&S : Certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes là-bas, parce qu’il y en a qui ont les qualifications pour le faire et ce n’est pas loin de chez eux. Qu’en pensez-vous ?

Il devrait s’éviter ce genre de réflexions. Cela blesse, cela stigmatise. Il n’est pas obligé d’être systématiquement transgressif. Je pense qu’il le fait volontairement, mais il devrait s’abstenir de ce genre de commentaires. C’est son côté Sarkozy.

Le « là-bas » désigne Ussel, à 150 km de La Souterraine, où se situe l’usine GM&S. Est-ce réaliste de demander cela à des salariés ?

Cela ne tient pas la route ! Quatre heures de transport par jour, ce n’est pas possible ! Il ne faudrait pas que cela soit le signe de ce qu’Emmanuel Macron veut faire en réformant l’assurance-chômage…

Comment jugez-vous les débuts d’Emmanuel Macron ?

C’est encore tôt, même s’il commence à y avoir urgence à donner des signes aux salariés et à lever les inquiétudes. Je ne suis pas surpris par ses débuts, mais cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec sa politique.

Vous manifesterez finalement en octobre contre les ordonnances. Demanderez-vous leur retrait ?

Non, le bureau confédéral de FO n’a pas le mandat pour demander le retrait global des ordonnances. Le Parlement de FO, qui a validé tout notre travail de cet été, considère qu’une part importante des ordonnances est inacceptable et a décidé d’une mobilisation –pas d’une grève- avant leur ratification. Nous demanderons dans la rue, sans doute en novembre puisque la prochaine réunion intersyndicale a lieu le 24 octobre, le retrait de certains points, comme la fusion des institutions représentatives du personnel, comme le plafonnement des indemnités prud’homales… Nous sommes aussi très inquiets d’une ruée des entreprises sur les ruptures conventionnelles collectives.

Le geste du gouvernement envers les routiers qui menaçaient de bloquer les dépôts de carburant, avec des primes fixées par la branche et non pas par l’entreprise, ouvre-t-il une brèche dans les ordonnances ?

D’une certaine manière, le gouvernement a été obligé de reconnaître que l’on peut toujours négocier au niveau de la branche, dont le rôle a été consolidé. Rien n’empêche de discuter des garanties en matière de primes au niveau d’une branche. Par un accord d’entreprise désormais, vous pouvez modifier un accord de branche à deux conditions : avoir un accord majoritaire à plus de 50% et assurer des garanties au moins équivalentes pour les salariés. Cette dernière condition créera du contentieux juridique sur la définition de ces « garanties équivalentes ».

Il y a un mois, vous ne vouliez pas manifester pour ne pas envoyer les salariés dans le mur » et rétorquiez à la CGT qu’il fallait mener « la bagarre avant, pas quand tout est fini. Vous avez changé d’avis ?

Non, pas fondamentalement. À partir du moment où nous avons, avec les autres syndicats, obtenu un processus de concertation intense tout l’été, nous sommes partis du principe qu’il ne fallait pas annoncer de mobilisation avant la fin de la concertation. Le film aurait pu être différent. Nous avons eu trois réunions à cinq syndicats où nous avions défini des lignes rouges. Si les cinq avaient agi de la même façon, nous aurions obtenu davantage de choses, pu faire un bilan le 31 août, et décider éventuellement d’une mobilisation. Mais cela n’a pas été possible.

Avez-vous des regrets sur votre stratégie ?

Non, aucun.

Ceux que vous appelez les grognons râleurs étaient-ils plus nombreux que vous ne le pensiez dans vos rangs ?

Le ton sur la situation est monté plus que je ne l’aurais cru au Parlement de FO. Je comprends les interrogations d’un secrétaire de syndicat, qui s’est bagarré l’année dernière à notre demande contre la loi travail, qui entend cet été que les ordonnances sont une « loi travail XXL », puis qui voit les manifestations commencer sans nous. De notre côté, nous étions en pleine discussion, nous ne pouvions pas tout expliquer au fur et à mesure : on pensait avoir obtenu une avancée, et la semaine suivante, elle était remise en cause. Et si vous dites publiquement « nous avons obtenu telle chose », le patronat va repasser derrière vous et cette chose disparaîtra.

Étiez-vous au bord de la démission au terme du comité confédéral national ?

Non, je n’ai pas été mis en minorité et je n’ai pas voulu démissionner, comme quelques uns l’ont dit. Vous ne pouvez pas plaire à tout le monde. Je pars dans sept mois, c’est prévu depuis longtemps, j’ai un seul successeur que je soutiens.

Il reste une vingtaine de décrets à écrire, dont un, sensible, sur les moyens pour les instances représentatives du personnel (IRP). Êtes-vous satisfait de l’avancée des discussions ?

Le gouvernement doit décider combien il y aura de délégués selon la taille des entreprises et combien il y aura d’heures de délégation. J’ai le sentiment qu’il y aura moins de délégués. Si les deux baissent, cela signifie que la fusion des IRP n’a qu’un objectif : remettre en cause le dialogue social.

Avez-vous le sentiment d’avoir été trompé par le gouvernement sur la moindre revalorisation des indemnités de licenciement au-delà dix ans d’ancienneté ?

Je ne dirais pas « trompé », car la ministre parle d’un malentendu. Nous n’avions pas compris l’existence du seuil des dix ans qui déclenche une baisse en sifflet, point qui n’était d’ailleurs jamais indiqué dans la communication du gouvernement. Cet épisode a été au minimum une déception.

Est-il exact comme l’a relevé le Canard Enchaîné que vous aviez des tête-à-tête avec Muriel Pénicaud pendant la concertation ?

Oui, c’est vrai. Un jour, j’allais voir la ministre et l’huissier m’a orienté vers la réunion d’une autre délégation… La CGT a seulement fait des réunions officielles, nous les avons faites aussi, mais nous n’avons pas arrêté, avec mes équipes, de demander des rencontres à l’Elysée, à Matignon, au ministère du travail, pour les pousser dans leurs retranchements et essayer d’obtenir des avancées.

Avez-vu plusieurs fois le président de la République ?

Trois fois, une fois au début en mai, une fois sur l’Europe avec les autres syndicats, et à la fin du processus, avec Laurent Berger (CFDT), avec qui nous avons des points communs. Lors de ce dernier rendez-vous, nous avons rediscuté des problèmes avec le président de la République. Nous avons eu satisfaction sur certains points, pas sur d’autres.

FO n’est plus du tout sur la ligne contestataire de l’an dernier…

Le contexte est différent. Nous avions découvert le projet de loi El Khomri, le président en fin de mandat ne s’était pas fait élire sur cette loi et n’avait plus de majorité à l’Assemblée. Cette fois, que l’on soit d’accord ou pas, ce président nouvellement élu a annoncé des ordonnances sur le code du travail dans sa campagne, même s’il n’avait pas détaillé leur contenu –comme dans les grands magasins, il avait mis les têtes de gondole, mais rien dans les rayons. A partir du moment où il accepte une concertation, on discute. Notre travail syndical a été de pousser le plus possible, j’aurais aimé que cela bouge encore plus, c’est évident. Mais nous avons été trois organisations à faire ce travail tout l’été. Je rappelle aussi que si le président l’avait voulu, le Parlement aurait pu siéger tout l’été et tout serait sans doute passé.

Vous le rencontrez le 12 octobre à l’Elysée pour parler des réformes à venir sur la formation professionnelle, l’apprentissage, l’assurance-chômage. Vont-elles dans le bons sens ?

Je n’en sais rien, pour le moment. Pour la formation professionnelle, je lui expliquerai qu’avant de décider, il serait bien de laisser les interlocuteurs sociaux négocier, comme le prévoit la loi Larcher. Nous ne serons pas les seuls à le demander. Dans notre pays, nous avons un problème d’instabilité juridique permanente. Nous n’arrêtons pas de faire des lois. La dernière sur la formation date de 2013, elle vient à peine d’entrer en application. J’ai envie de dire : Oh, on se calme ! Avant de faire quoi que ce soit, évaluons ce qui marche et ce qui ne marche pas. Il est aussi nécessaire de mettre de l’ordre dans les dizaines de milliers d’organismes de formation existants, de revoir les certifications et les agréments.

15 milliards pour la formation professionnelle, cela aidera à enrayer le chômage ?

La formation est indispensable, mais elle ne débouche pas obligatoirement sur un emploi. Il faut qu’il y ait des créations d’emplois en face.

Et pour l’assurance-chômage et l’apprentissage ?

Entre ce qui est annoncé et la faisabilité, j’ai des points d’interrogation. Quel critère fait qu’un indépendant a le droit à l’assurance-chômage ? Qui paye ? Cela conduirait-il à réduire les droits des salariés, ce qui serait inacceptable ? Tout cela n’est pas réglé. Tous les syndicats et toutes les organisations patronales tiennent à conserver la responsabilité de fixer l’indemnisation et les prestations de l’assurance-chômage. Je parlerai aussi au président des fonctionnaires, de l’Europe.

Dans sept mois, Pascal Pavageau vous succédera. Quels conseils lui donnez-vous ?
FO est une organisation particulière, c’est l’organisation la plus jacobine, très attachée aux valeurs républicaines, et dans notre mode de fonctionnement, nous sommes décentralisés. Le cap, c’est de garder notre liberté de comportement, même lorsque ça surprend et l’indépendance de notre organisation –avec un attachement fondamental à la négociation collective sans s’en remettre à l’État et à la loi. Je sais que si Pascal Pavageau me succède –et c’est le seul candidat aujourd’hui– il sera attaché à cela.

Vous évoquez l’indépendance, mais vous êtes l’un des rares à la tête d’un syndicat à assumer avoir une carte d’adhérent, au PS en l’occurrence…

Mes prédécesseurs avaient la même. D’ailleurs, cette année, le PS ne m’a pas demandé de payer la cotisation ! Je ne cache pas les choses, je n’y milite plus à titre personnel depuis longtemps, et cela ne m’a pas empêché d’exprimer des désaccords.

 Voir en ligne  : Paris Match

Jean-Claude Mailly Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

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