Jean-Claude Mailly : « Le politique doit reprendre le pouvoir face à la finance »

Sud Ouest Eco - Interview par Jean-Claude Mailly

Photographie : F. Blanc / FO Hebdo - CC BY-NC 2.0

« A Bègles (33) ce vendredi 24 juin pour la 27e congrès de Force Ouvrière de la Gironde, Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de la Confédération a évoqué avec "Sud Ouest" le conflit social et les conséquences du Brexit... » Sud Ouest Eco

Sud Ouest : Pensez-vous que les discussions avec le gouvernement sur la loi Travail vont enfin aboutir ?

Jean-Claude Mailly : Nous avons eu de vrais débats de fond lors des derniers contacts avec la ministre du Travail. Ce qui est regrettable, c’est que chaque fois que nous avons l’impression que la porte du dialogue s’ouvre, le Premier ministre l’a refermée. Comment doit-on interpréter la déclaration faite hier par François Hollande « nous irons jusqu’au bout ». Cela signifie-t-il que début juillet au Parlement, il y aura un nouveau 49-3 ? Ce serait ubuesque qu’un gouvernement dit de gauche passe en 49-3 sur un sujet concernant le travail.

S’il y a 49-3, je donne rendez-vous en septembre... Quelques déplacements de ministres seront perturbés... J’aimerais que le conflit soit réglé avant la fin de l’été, mais ce n’est pas gagné. Je n’ai jamais connu de conflit social aussi long en France, plus de 4 mois ! Nous aurions dû en sortir depuis longtemps, sauf qu’il n’y a pas eu de dialogue. Je n’aurai jamais pensé vivre ce que nous avons vécu cette semaine : demander au ministre de l’Intérieur de faire respecter le droit de manifester en France. Il faut résister et tenir. Hier, à la fin de la manifestation, j’ai suggéré au Premier ministre de réunir chacune des confédérations syndicales et organisations patronales pour réamorcer un dialogue.

Mais, en réalité, c’est le président de la République qui a la clé. C’est lui qui a été élu au suffrage universel. En 2006, au moment du conflit du CPE, j’étais secrétaire général, ça avait duré moins longtemps, en l’occurrence, trois mois, mais, un week-end, nous avons trouvé un accord dans un appartement avec une équipe envoyée par l’Elysée.


Vous avez fait des contre-propositions au gouvernement, mais sans les rendre publiques, pourquoi ?

J’attends un retour du gouvernement pour les rendre publiques. Nos propositions portent sur les cinq points les plus controversés de la loi, en premier lieu, l’inversion de la hiérarchie des normes, la question du référendum, la médecine du travail, les licenciements économiques et les accords de maintien de préservation de l’emploi.

Nous n’accepterons jamais que la branche, c’est-à-dire les conventions collectives nationales, soient remises en cause sur la durée du travail, car cela ouvrirait d’autres brèches demain. La branche permet un minimum d’égalité entre les salariés, une limitation du dumping social et de la concurrence.

C’est un projet multiminoritaire. Dans les cinq confédérations, seules la CFTC et la CFDT, qui représentent 40% des syndicats, l’acceptent en l’état. Chez les patrons aussi, les artisans de l’UPA et de la CGPME sont contre aussi sur l’inversion des normes.


Avec 70 000 manifestants seulement hier en France, selon l’État, la mobilisation semble faiblir, ne craignez-vous pas un retournement de l’opinion publique contre les syndicats ?

Nous en sommes à la 10e journée de mobilisation en 4 mois. Avoir encore 70 000 personnes dans la rue hier au regard des conditions de la manifestation, cela reste fort. Concernant notre représentativité, mise en cause ces dernières semaines, la dernière étude du ministère du Travail fait apparaître que le taux de syndicalisation public-privé est de 11 à 12% et non 6%.

Surtout, il n’y a pas de corrélation entre un taux de syndicalisation et la situation réelle des salariés. Sinon, comment expliquer que la France est le premier pays au monde en termes de couverture conventionnelle des salariés. Plus de 90% des salariés français sont couverts par une convention collective. En Allemagne, ils sont à 70%, en recul.


Certes, mais comment expliquez-vous la perte de représentativité syndicale ces dernières années ?

Nous sommes toujours dans une situation de crise internationale. Nous n’avons toujours pas réglé les problèmes liés à la crise de 2008, les paradis fiscaux, le poids de la banque et de la finance... Une des conséquences est la perte de pouvoir des gouvernements face au marché.

Par exemple, sur le Brexit, ce que tout le monde guette aujourd’hui, c’est la réaction des marchés. Tout ceci montre bien que David Cameron, le président de la République... n’ont plus le pouvoir. C’est un problème de fond. Il faudrait que les pouvoirs politiques reprennent du poids. C’est vital. L’un des enseignements du Brexit, est que l’Europe doit se rapprocher des citoyens. Ce Brexit ouvre une brèche. Que va-t-il se passer par exemple avec l’Espagne ? Nous avons soutenu les syndicats anglais qui demandaient à rester dans l’Europe, car régulièrement le Royaume-Uni demandait des exemptions aux règles européennes. Pour eux, l’Europe est une garantie sociale. Il y a aujourd’hui un rejet des citoyens non pas sur l’Europe, mais pas la manière dont l’Europe fonctionne.

D’ailleurs, l’une des premières erreurs de François Hollande est d’avoir avalisé dès son élection le pacte budgétaire européen, alors qu’il avait dit pendant la campagne qu’il le renégocierait. La France était attendue par l’Italie, l’Espagne sur les modalités de la construction européenne.


Quelles seront les conséquences du Brexit pour les salariés anglais ?

Pour les salariés anglais, avec le Brexit, il y a des risques de remise en cause, car certains socles minimaux risquent de disparaître, sur la durée du temps de travail, la protection sociale, voir même sur le droit syndical... Nous rentrons dans une période d’incertitude. Cela fait plus de 3 ans que j’explique que les politiques d’austérité menées en Europe sont triplement suicidaires : socialement, économiquement (manque d’investissements dans les infrastructures...) et ça finit par poser des problèmes démocratiques. Il faut que les problèmes politiques prennent leur responsabilité et reprennent le pouvoir face à la finance.

De notre côté, il y a nécessité de coordination de plus en plus forte entre syndicats au niveau européen et international.


Plus localement, ce matin, Alain Juppé a déploré le « hooliganisme » de certains agents de propreté en grève à Bordeaux, qu’en pensez-vous ?

Il y a eu des exactions ? Non. Alors ce sont des termes qu’il ne faut pas employer. On ne doit pas confondre des militants avec des casseurs, ni confondre des gens en grève avec des hooligans. Ce n’est pas la peine de rajouter des mots sur des maux. Notre société est assez déchirée comme cela.

Il n’est pas non plus acceptable que des locaux syndicats, comme ceux de la CFDT, soient saccagés. On peut être en désaccord, mais il y a des choses qui ne se font pas.


Interview : Nicolas César

Jean-Claude Mailly Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière