TDF 2016 - L’ascension du mont Ventoux

Le Tour Focus

L’ascension de Christopher Froome durant le Tour 2013.

Proposé à l’arrivée de la 12e étape, le 14 juillet, le « Géant de Provence » est unique. Voici pourquoi.

Une masse de pierre rocheuse taillée à pic et presque inaccessible. » En 1336, le poète Pétrarque réalise la première ascension connue du mont Ventoux et en rédige un rapide récit resté célèbre. Sa description, originellement écrite dans une lettre adressée au moine augustin François Denis de Borgo San Sepolcro, est à la fois sobre et on ne peut plus juste. Si l’on appelle le Ventoux le « Géant de Provence », c’est d’abord parce qu’il se dresse, seul, en plein milieu du Vaucluse, très au-dessus de tous les monts qui l’environnent, du haut de ses 1 911 mètres d’altitude. On le voit de fort loin, presque d’Avignon, régnant en majesté sur les plaines alentours.

Mais ce mont si particulier, que les hommes ne se sont fatigués à grimper que pour le plaisir de dompter la nature puisqu’on ne peut qu’en redescendre ensuite, a un autre surnom : le mont Chau­ve. Car son sommet, quasiment dépourvu de toute végétation, laisse à nu son sol blanc calcaire. La rupture se lit remarquablement bien lors de chaque passage des coureurs du Tour de France : alors que la première partie de l’ascension se dispute en forêt, on débouche d’un coup dans un paysage désolé, quasi lunaire, où le sommet se voit distinctement, au détour d’un virage ou d’un autre, tout en restant si loin, longtemps inaccessible, tout au bout d’une pente qui ne laisse aucun répit.

Si long, si dur

Car si le Ventoux est remarquable, c’est aussi par sa difficulté. Elle réside d’abord dans la longueur de l’ascension : de Bédoin, versant le plus souvent utilisé par le Tour de France – c’est encore le cas cette année – au sommet, il faut grimper pendant pas moins de 21 kilomètres, ce qui est considérable (à titre de comparaison, l’ascension vers l’Alpe d’Huez fait moins de 14 kilomètres). Quinze bornes en forêt, les six dernières dans le calcaire nu, et, presque tout le long, une pente qui asphyxie. Sans compter le mistral, le « vent qui rend fou » de Provence, souvent au rendez-vous là-haut : la légende dit même que c’est ce qui a donné son nom au Ventoux, dont l’étymologie reste un mystère...

À la sortie de Bédoin, la pente est d’abord amicale, jamais au-dessus des 6 %. Mais ensuite, la route se cabre soudainement à 9-10 %, pour ne quasiment jamais se radoucir. Il y a bien un léger répit autour du Chalet Reynard, quand la route de Bédoin rejoint celle de Sault et que l’on passe de la forêt au paysage lunaire. Mais l’enfer repart ensuite de plus belle et les deux dernières bornes, à quasiment 10 % de pente moyenne, ne sont pas les moins difficiles du lot... Parfois, sur d’autres cols, il faut pour les coureurs cibler un endroit précis, là où la pente est plus raide qu’ailleurs, pour porter l’estocade. Ici, on peut passer à l’offensive partout, du pied au sommet, car le Ventoux ne cesse jamais d’être difficile.

Un repaire de champions

Mais si le mont Ventoux occupe une place si particulière dans l’histoire du Tour de France, c’est aussi parce qu’il a mis à l’honneur ses plus grands champions, pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, c’est ici, comme le rappelle une stèle érigée à deux kilomètres du sommet, que le 13 juillet 1967 Tom Simpson perdit la vie, victime d’un malaise notamment dû à la prise d’amphétamines et à la chaleur étouffante qui régnait ce jour-là sur le Ventoux. Cet événement tragique faisait du mont Chauve le théâtre de la découverte par le grand public de ce que l’on appelait alors le doping, nom qui serait bientôt francisé.

Jamais arpenté avant 1951, le Géant de Provence fut d’abord escaladé sans que l’arrivée soit jugée à son sommet. Ce qui ne l’empêchait pas de déjà reconnaître les siens : deux vainqueurs du Tour, Jean Robic et Louison Bobet le franchirent en tête en 1952 puis 1955, avant que Charly Gaul, en 1958, n’y obtienne le premier la victoire. Il remportait l’ascension depuis Bédoin contre la montre, quelques jours avant de gagner son premier et unique Tour de France.

La liste des champions laissant leur nom au palmarès du mont Chauve ne cessera ensuite de s’allonger : Raymond Poulidor en 1965, Eddy Merckx en 1970, Bernard Thévenet en 1972. Un tableau de chasse cinq étoiles. Mais le Ventoux se fera ensuite bien plus rare, avec seulement deux passages entre 1974 et 2000. Cette année-là, dans un sursaut au milieu de sa fin de carrière compliquée, Marco Pantani allait être le seul à résister jusqu’au sommet à Lance Armstrong, empêchant l’Américain de laisser son encombrant nom au palmarès de l’ascension. Deux ans plus tard, c’est l’un des plus célèbres grimpeurs français, Richard Virenque, qui s’imposait seul au prix d’une longue échappée, signant l’une de ses plus grandes victoires et sa rédemption définitive aux yeux du public français, quelques années après l’affaire Festina. Enfin, en 2013, Chris Froome, déjà revêtu du maillot jaune, se servait des pentes assassines du Ventoux pour asseoir sa victoire finale, grâce notamment à une accélération assis sur la selle restée célèbre. Et en 2016 ?