L’heure est à la grève interprofessionnelle : pour Jean-Claude Mailly, FO doit donner le « la »

#FO2015Tours par Valérie Forgeront

Article publié dans l’action Congrès Confédéral 2015 à Tours

Place aux résolutions. Depuis 15h ce jeudi 5 février, des centaines de militants travaillent à l’élaboration des textes sur lesquels s’appuieront les axes revendicatifs de la confédération jusqu’au prochain congrès.

Répartis au sein de quatre commissions, les délégués ont jusqu’à 23h30 ce soir pour construire ces résolutions, travail dense et de longue haleine entrecoupé d’une rapide pause plateaux-repas à 19h30.

Ces militants ont donc eu peu de possibilités de croiser les autres congressistes, qui ont assisté ce jour aux deux tables rondes organisées par le cabinet Technologia autour des thèmes du développement syndical et de l’avenir des CHSCT.

Alors que les débats du congrès reprendront à 9h demain 6 février en séance plénière, les délégués inscrits dans les quatre commissions de résolution s’attellent à une longue soirée de travail devant eux.

Quelque 340 militants se sont inscrits dans la commission qui bâtit ce jeudi la résolution générale, 200 œuvrent à l’élaboration de la résolution protection sociale, 180 s’occupent de la résolution sociale et enfin 40 délégués planchent sur la résolution outre-mer dans la salle igloo du Palais des congrès de Tours, cela ne s’invente pas.

Avant la mise en place de ces commissions de résolutions, cette quatrième journée de congrès en présence de 3 117 délégués a toutefois démarré tôt. Au menu de la matinée, le vote des quelque 2 100 délégués disposant de mandats sur les rapports d’activité et de trésorerie de l’organisation. Les 2 969 mandats portés par les délégués représentent 9 533 voix au congrès. Le résultat de ces votes sera donné en séance plénière, demain, vendredi 6 février.

« Des minoritaires mais pas de minorités à FO »

Ouvrant la quatrième journée de ce XXIIIe congrès, la réponse du Secrétaire général de la confédération, Jean-Claude Mailly, aux 163 interventions des délégués qui se sont succédé à la tribune entre lundi soir et mercredi soir, a bien sûr animé une grande partie de la matinée de ce jeudi.

Dans son intervention balayant les nombreux thèmes abordés à la tribune par les délégués FO, le Secrétaire général a salué dans un premier temps la libre expression des militants FO, signe d’une belle pratique de « liberté et de démocratie » au sein de l’organisation. Un exercice qui requiert le respect des statuts. FO, où les militants sont « libres et indépendants », ne fonctionne pas dans une logique de motions et de courants, à l’instar des partis politiques, a encore insisté Jean-Claude Mailly, rappelant les paroles de deux de ses prédécesseurs. « Il n’y a pas de gourou à FO », se plaisait ainsi à souligner Marc Blondel. Quelques années avant lui, Robert Bothereau indiquait de son côté qu’il y a « des minoritaires mais pas de minorités à FO ».

Remerciant les délégations étrangères de leur présence à ce congrès, le Secrétaire général a souligné les liens amicaux entre l’organisation et les syndicats de différents pays et s’est réjoui de points de vue communs sur de multiples dossiers.

La Secrétaire générale de la CSI (la Confédération syndicale internationale), Sharan Burrow, a ainsi rappelé la prochaine action internationale le 18 février pour la défense du droit de grève. Pour la CES (Confédération européenne des syndicats), Bernadette Ségol a rappelé la condamnation par l’organisation syndicale européenne du pacte de responsabilité, qui se traduit en France par une aggravation des mesures d’austérité en direction des salariés.

La confédération soutient d’ailleurs la demande de la CES d’un plan de relance économique à l’échelon européen et à un niveau de 280 milliards sur dix ans, a rappelé Jean-Claude Mailly, évoquant par ailleurs les liens étroits avec les syndicats espagnols ou encore marocains.
FO a ainsi soutenu des militants syndicaux de l’UMT pour bâtir une représentation syndicale au sein de la nouvelle usine Renault de Tanger.

Tous ces liens et ces actions existent « parce que nous appartenons à la CSI, même si, oui, dans chaque pays, il peut y avoir des conceptions différentes, par exemple sur l’indépendance syndicale », a indiqué Jean-Claude Mailly, insistant sur le fait que « ce qui est en jeu, ce sont les conditions de la mondialisation ». Or le travail de FO, « c’est d’assurer le respect des droits des travailleurs ».

Il y a de quoi faire, rappelait en substance le Secrétaire général, évoquant entre autres la lutte difficile contre le dumping social entre pays dans le transport routier, ou encore les effets nocifs des récents traités internationaux, tel le TTIP (partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) « qui accorde aux multinationales des droits exorbitants sur les États ».

« FO n’a pas deux discours »

© F. Blanc / FO Hebdo

Le Secrétaire général, qui a consacré une longue partie de son intervention au concept actuel de dialogue social, a regretté que cette « formule désormais générique » contienne tout et n’importe quoi, aussi bien les démarches de négociation, la concertation mais aussi l’intégration souhaitée des syndicats à la mise en œuvre de mesures néfastes pour les salariés.

Face à cela, il faut « afficher les revendications et garder sa liberté ».

De fait, si la confédération participe au comité de suivi mis en place dans le cadre du CICE (crédit d’impôt compétitivité-emploi), cela a permis d’obtenir des chiffres et quelques analyses sur ce CICE qui a fait bénéficier les entreprises d’environ 110 milliards d’euros en terme d’aides publiques cumulées.

En revanche, rappelait Jean-Claude Mailly, FO ne participe pas aux réunions afférentes au pacte de responsabilité. « C’est ça notre liberté de comportement et notre indépendance. Nous n’avons pas deux discours ». Et de rappeler encore à ce titre que l’an dernier, FO n’avait pas participé à la conférence sociale de printemps.

Si certains souhaiteraient qu’il y ait une confusion des rôles entre la démocratie politique (vote des lois, élections…) et la démocratie sociale, cela pour intégrer les syndicats aux choix de la démocratie politique et par ailleurs les amener au corporatisme, il faut faire au contraire une différence entre la loi et le contrat, lequel s’établit à partir d’une négociation.

La formule du dialogue social vante encore les mérites des procédures de consultation des syndicats en amont d’une modification du Code du travail, ainsi que l’impose la loi adoptée en 2006 à l’issue du conflit sur le CPE (Contrat première embauche). Toutefois, s’indignait Jean-Claude Mailly jeudi matin à la tribune, « ces procédures ne sont pas respectées. En ce qui concerne le projet de loi Macron, nous n’étions pas prévenus. Ces procédures sont donc des arlésiennes ».

Le projet de loi pour la croissance et l’activité pose cependant nombre de problèmes que pointe FO. Dans le cadre des modifications portant sur les professions réglementées, ce qui préoccupe FO « ce sont les emplois des salariés », a rappelé Jean-Claude Mailly. Toutefois, cette section du projet n’est pas la seule à mériter inquiétude et contestation.

Le projet de loi cherche à imposer davantage de flexibilité en matière d’emploi à travers une réforme des plans sociaux (PSE), il prône une exonération du forfait social pour les entreprises PME qui mettraient en place un système d’épargne salariale ou d’intéressement, il induit un développement du dumping social à travers la mesure cherchant à assouplir la législation du transport par autocar…

« Nous sommes des réformistes militants »

Autre caractéristique du projet, analyse Jean-Claude Mailly, le gouvernement « veut mettre de la médiation et de la conciliation partout », y compris dans le monde du travail, alors que ce registre, propre au champ du code civil, ne peut s’appliquer puisqu’il n’y a pas dans le monde du travail une égalité de droit entre employeurs et salariés.

Le projet remet en cause dangereusement la justice prud’homale au profit d’une justice professionnelle, s’inquiète le Secrétaire général, notant que moins de 10 % des dossiers portés devant les prud’hommes sont traités via une conciliation. Par ailleurs, sur 100 salariés qui mènent une action devant les prud’hommes, 80 sont issus des TPE, « là où souvent il n’y a pas de présence syndicale ».

Le projet de loi compte aussi revoir les règles du travail du dimanche en augmentant jusqu’à douze le nombre de dimanches travaillés. « C’est une volonté de banaliser le travail du dimanche. Quant à prétendre que le travail du dimanche se fera sur le mode du volontariat… c’est faux », s’indigne Jean-Claude Mailly, rappelant que l’acceptation par les salariés de travailler le dimanche fait souvent partie des clauses d’embauche.

Si le projet de loi Macron est contesté, la négociation sur la modernisation du dialogue social ne satisfait pas davantage. C’est une vraie « tarte à la crème », lançait jeudi matin à la tribune Jean-Claude Mailly. « Il y a eu déjà trois ans de débats », et sans résultat cette négociation a été suspendue. Actuellement, après quatre mois de discussions, la négociation n’a pas davantage abouti. Et pour cause, ironisait le Secrétaire général de la confédération FO.

« Qui peut croire, par exemple, qu’une organisation syndicale va accepter la suppression du CHSCT ?! C’est la volonté patronale du Medef et rien que cela est inacceptable. Cela veut dire que pour la première fois l’on remettrait en cause le monopole du syndicat dans la négociation ! » La CFDT estime que la négociation sur la modernisation du dialogue social a échoué en raison des conservatismes, elle « confond avec la résistance » que FO a exercée. « Nous sommes des réformistes militants. Quand le compromis obtenu est bon, on signe », à l’instar de l’accord sur la formation professionnelle ou encore celui sur l’Assurance chômage.

L’action pour se faire entendre

Le Secrétaire général a bien sûr souligné, comme bon nombre de militants, l’attachement de FO aux services publics républicains, garants de l’égalité des droits. Ces services et cette égalité sont toutefois actuellement malmenés par des lois et réformes (RGPP, HPST…) qui organisent l’austérité budgétaire. Une austérité qui a sa cascade de conséquences douloureuses : la disparition des emplois publics, la dégradation des conditions de travail des agents, la désertification des territoires ruraux qui assistent à la fuite des services de l’État, etc.

La décentralisation et les projets en cours de redécoupage territorial et de partage des compétences des collectivités avec en perspective la disparition des conseils généraux sont aussi inquiétants. « Qui va s’occuper, par exemple, de la gestion du RSA ? », s’interroge Jean-Claude Mailly, craignant que cette réforme territoriale induise aussi la volonté d’établir un Code du travail variant d’une région à l’autre, « ce qui serait la fin de la République sociale ».

Pour faire front contre toutes ces réformes, l’organisation doit poursuivre son développement dans tous les secteurs professionnels, publics et privés. « Il faut être présent encore plus et être plus nombreux encore. »

La confédération FO doit aussi « poser les conditions de l’action. Il faut être entendu et contrer cette austérité suicidaire ». L’organisation a ainsi une responsabilité, a rappelé Jean-Claude Mailly. « Pour faire bouger l’État, il faut passer à l’étape supérieure, déjà par une grève interprofessionnelle dans le cadre d’une action commune. Pour redonner de la visibilité aux travailleurs et leur redonner confiance, il nous faut donner le la, montrer notre détermination et ensuite jouer la partition à plusieurs. »

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

Dans l’action Congrès Confédéral 2015 à Tours