La convention collective des cabinets d’experts-comptables et commissaires aux comptes censurée, jusqu’où ira la Cour de cassation ?

Veille juridique par Secteur des Affaires juridiques

Et une de plus ! La Cour de cassation – sur un moyen relevé d’office - censure la convention collective des experts comptables et commissaires aux comptes du 9 décembre 1974 instituant un système de forfait-jours. Les magistrats du Quai de l’Horloge ont rendu, le 14 mai 2014 un arrêt très attendu qui vient confirmer la doctrine en marche en matière de convention de forfait-jours (Cass. soc., 14 mai 2014, n° 12- 35033, P). La Cour réaffirme le principe selon lequel lorsque la convention collective ne permet pas d’assurer le droit à la santé et au repos des salariés, celle-ci court à sa perte.

En l’espèce, une salariée, au statut cadre dans une société d’audit, signe avec son employeur une convention individuelle de forfait prévoyant une durée de travail équivalente à 217 jours par an. Après avoir démissionnée, la salariée conteste la validité de sa convention de forfait du fait de l’absence totale d’autonomie.

La cour d’appel déboute la salariée, considérant que la convention de forfait signée par les parties était conforme aux dispositions de la convention collective « en raison de la nature de l’emploi » occupé du fait notamment « du contact direct avec les clients rendant impossible la prédétermination du temps qui sera passé pour le travail demandé » et de conclure « que la mission en clientèle nécessite une réelle autonomie dans la gestion de son temps par la personne soumise au forfait jour ».

La Cour de cassation censure ce raisonnement et considère, comme elle l’avait précédemment fait lors de la décision relative à la convention collective SYNTEC (Cass. soc., 24 avril 2013, n° 11-28398), que le dispositif mis en place par la convention collective des experts-comptables et des commissaires aux comptes n’est pas de nature « à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié ».

Selon la Cour, la convention collective et plus particulièrement les dispositions de l’article 8.1.2.5 « se bornent » à prévoir que d’une part « la charge de travail confiée ne peut obliger le cadre à excéder une limite de durée quotidienne de travail effectif fixée à dix heures et une limite de durée hebdomadaire de travail effectif fixée à quarante-huit heures et que le dépassement doit être exceptionnel et justifié par le cadre » d’autre part, la convention « laisse à l’employeur le soin de prendre les mesures pour assurer le respect des repos quotidiens et hebdomadaires ». Enfin, il est prévu que le cadre soumis au forfait et son employeur examinent ensemble « afin d’y remédier, les situations dans lesquelles ces dispositions prises par l’employeur pour assurer le respect des repos journaliers et hebdomadaires n’ont pu être respectées ».

La Cour considère que les dispositions conventionnelles sont insuffisantes et ne permettent pas de respecter les exigences constitutionnelles et communautaires (comme en témoigne le visa de l’arrêt du 14 mai 2014) que sont le droit au repos et à la santé du salarié.

La convention collective nationale laisse à l’employeur le soin de fixer concrètement les modalités de suivi et les garanties d’une utilisation raisonnable du forfait jours. Or, c’est à l’accord collectif servant de fondement à la convention individuelle d’encadrer ces modalités.

Après avoir donné la marche à suivre dans son arrêt du 29 juin 2011 et rappelé que la convention devait contenir des mesures concrètes d’application des conventions de forfait en jours de nature à assurer le respect des règles impératives relatives à la durée du travail et aux temps de repos, la Cour avait mis en garde les employeurs en assurant, dans un communiqué que « revenant sur sa jurisprudence résultant de son arrêt du 10 janvier 2010 (Cass. soc., 10 janvier 2010, n° 08- 43.201) ou le défaut de suivi de l’organisation du travail des salariés soumis au forfait jour ouvrait seulement droit à des dommages et intérêt pour le salarié concerné », la chambre sociale avait alors décidé « que ces défaillances de l’employeur, dès lors qu’elles privent le salarié de toute protection de sa santé, privent également d’effet la convention de forfait en jours conclue avec le salarié ».

Depuis cet avertissement, la convention collective nationale des bureaux d’études (dite SYNTEC), celle des industries chimiques, ou encore celle des commerces de gros sont tombées ; c’est au tour de la convention collective nationale des experts–comptables et commissaires aux comptes d’être invalidée. Dès lors ce sont des centaines de milliers de salariés qui sont en situation de se retourner vers leur employeur afin de réclamer un rappel d’heures supplémentaires. En effet, priver d’effet la convention de forfait revient à faire basculer les salariés soumis à cette convention de forfait vers un décompte du temps de travail de droit commun.

Il ne reste plus qu’aux partenaires sociaux de la branche des experts–comptables et commissaires aux comptes de conclure rapidement un avenant permettant de prendre en compte la décision de la Cour de cassation afin de mettre en oeuvre des dispositions permettant une réelle protection du droit de la santé et du droit au repos des salariés, sous peine de voir les contentieux se multiplier.

 Voir en ligne  : Veille juridique du 15 au 26 septembre 2014 [PDF]

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