La Société contre l’État pyschanalysée

Livre par Michel Pourcelot

L’œuvre de Pierre Clastres sur le divan ? Les thèses de cet anthropologue et ethnologue, qui s’est interrogé sur l’État et le pouvoir en étudiant les Indiens d’Amérique du Sud, font l’objet d’une étude psychanalytique du philosophe Christian Ferrié : Le mouvement inconscient du politique.

Un temps aux côtés de Levi-Strauss, cité par Foucault, l’ethnologue et anthropologue Pierre Clastres (1934-1977) avait développé une thèse d’anthropologie politique, qu’une mort prématurée et accidentelle a interrompu, sur les relations de pouvoir, les chefferies et l’État à partir de ses études sur le terrain auprès des Indiens d’Amérique latine, notamment amazoniens. Pour lui, les sociétés dites « primitives » ne sont pas des sociétés « en retard » dans le développement étatique mais sont au contraire organisées pour éviter l’émergence d’une classe dominatrice étatique, ne manquant d’ailleurs pas de pointer l’exemple l’Union soviétique. De plus, les hommes y sont maîtres de leur activité, maîtres de la circulation des produits de cette activité : ils n’agissent que pour eux-mêmes, quand bien même la loi d’échange des biens médiatise le rapport direct de l’homme à son produit. Tout est bouleversé, par conséquent, lorsque l’activité de production est détournée de son but initial, lorsque, au lieu de produire seulement pour lui-même, l’homme primitif produit aussi pour les autres, sans échange et sans réciprocité. « Primitif » mais ni exploiteur, ni saccageur.

Servitude volontaire

Le mouvement inconscient du politique a le mérite d’être le premier ouvrage en français à être entièrement consacré à Pierre Clastres. Mais si Christian Ruffié, auteur d’ouvrage philosophique, consacre bien une partie de ses pages au parcours de Clastres, il part ensuite dans un passage au crible psychanalytique des écrits de ce dernier. Certes, Clastres a bien écrit, comme Ferrié le met en exergue, que ces sociétés sauvages refusent, par un acte sociologique et donc inconscient, de laisser leur pouvoir devenir coercitif (Chroniques des Indiens Guayaki, 1972), mais Clastres, se qualifiait de quasiment analphabète en ce qui concerne la littérature psychanalytique, et avait nettement déclaré : je n ai pas besoin de faire référence à la lecture, à la grille psychanalytique pour ce que je cherche. A coups de pulsion de vie, de mort, de refoulements, d’unions érotiques, c’est pourtant ce qu’a fait Christian Ferrié, quarante après la disparition de l’auteur de La Société contre l’État (éditions de Minuit, 1974), en répondant à la question de Clastres : Pourquoi les gens obéissent-ils, alors qu’ils sont infiniment plus forts et plus nombreux que celui qui commande ? C’est une question mystérieuse, en tous cas pertinente, et celui qui se l’est posée il y a très longtemps et avec une netteté parfaite, c’était La Boétie dans le Discours sur la servitude volontaire. C’est une vieille question, mais ce n’est pas parce que c’est une vieille question qu’elle est dépassée. Effectivement et le débat n’est pas clos.

Le mouvement inconscient du politique : essai à partir de Pierre Clastres, de Christian Ferrié, publié aux éditions Lignes, le 12 mai 2017. 320 pages. 19 €.

Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante