« Le travail de nuit crée une usure prématurée de l’organisme »

Entretien : Marie-Anne Gautier Médecin du travail et expert sur les horaires atypiques à l’INRS par Clarisse Josselin

Le volontariat permet de mieux supporter le travail de nuit. Le droit du salarié à un retour à des horaires de jour à sa demande devrait donc être garanti. © HAMILTON / REA

Le nombre de salariés nocturnes réguliers a doublé en vingt ans, selon une récente étude de la Dares. Ces horaires décalés ont des effets avérés sur la santé.

Quels sont les effets du travail nocturne sur la santé ?

Marie-Anne Gautier : Les salariés concernés par du travail nocturne dorment en moyenne une à deux heures de moins, ce qui augmente le risque de somnolence et altère la vigilance. Ils ont un risque plus élevé d’accidents du travail et de trajet. Ils seraient aussi plus exposés aux maladies cardio-vasculaires et aux ulcères gastriques. Ils ont également un peu plus de risques de dépression et d’anxiété. Il se crée donc une sorte d’usure prématurée de l’organisme.

Les femmes sont de plus en plus nombreuses à travailler la nuit. Développent-elles des pathologies spécifiques ?

Marie-Anne Gautier : De plus en plus d’études montrent un risque accru de cancer du sein. Le travail de nuit augmente aussi le risque d’avortement spontané, de retard dans le développement du foetus et d’accouchement prématuré.

Quelques clés
 3,5 millions de salariés ont travaillé occasionnellement ou régulièrement de nuit en 2012.
 De nuit, le salaire est en moyenne supérieur de seulement 8,1 % par rapport au jour.
 Les femmes ne sont autorisées à travailler la nuit dans l’industrie que depuis 2001.
 Le travail de nuit est considéré comme un facteur de pénibilité.

Y a-t-il des salariés plus exposés que d’autres ?

Marie-Anne Gautier : Chez quelqu’un qui n’est pas volontaire pour travailler de nuit, la tolérance à ce type de rythme de travail, subi, sera moins facile. Certains salariés ne se verraient pas travailler de jour, car le travail de nuit peut présenter des avantages : plus de temps en journée pour leurs enfants, plus d’autonomie au travail, une meilleure rémunération. Mais cela se fait aux dépens de leur santé. Si les bénéfices personnels priment pendant des années, après un certain âge cela devient plus difficile. Il est aussi plus facile de s’adapter à des horaires nocturnes fixes qu’à un rythme en 3 x 8, qui demande une resynchronisation de l’organisme en permanence.

Comment les IRP peuvent-elles intervenir pour préserver au mieux les salariés ?

Marie-Anne Gautier : Avant la mise en place du travail de nuit, il faut une concertation le plus possible en amont, lors du CHSCT. Il faut vérifier que le rythme de travail de nuit est adapté au travail demandé et qu’il correspond à une vraie nécessité. Il faut également faire une évaluation complète des autres risques professionnels auxquels sont exposées les équipes. Pour mettre en place les meilleures conditions possibles, le CHSCT peut travailler en lien avec le service de santé au travail de l’entreprise, l’inspection du travail et le technicien de la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail de sa région.

Y a-t-il des règles à respecter dans l’organisation ?

Marie-Anne Gautier : Pour le travail posté, il faut privilégier les rotations intermédiaires entre deux et cinq jours et dans le sens horaire : matin, après-midi, soir et nuit. L’idéal, c’est de proposer une équipe de nuit permanente. Prévoir un temps de sieste pendant la pause permet d’améliorer la vigilance. Les tâches demandant le plus d’attention doivent être exécutées en début de nuit. Et si une personne ne le tolère plus, il faut demander à ce qu’elle repasse en travail de jour.

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

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