Les cheminots FO résistent, revendiquent et se développent contre vents et marées

Congrès par Evelyne Salamero, FO Cheminots

Le nouveau secrétariat fédéral de FO cheminots, élargi à huit membres au lieu de six et rajeuni , à l’image de l’ensemble du congrès qui comptaient de nombreux délégués de moins de quarante et trente ans, plus encore qu’il y a quatre ans. Photographie : FO cheminots

Combatif. S’il ne fallait choisir qu’un seul mot pour résumer le congrès de la fédération FO des cheminots, ce serait celui-ci. Réunis au Cap d’Agde du 2 au 6 octobre, 277 délégués venus des quatre coins de la France, soit une trentaine de plus qu’au dernier congrès, représentant tous les métiers du Rail –conducteurs, agents d’entretien et de maintenance des trains et des voies, guichetiers, contrôleurs ou encore agents de sûreté– ont discuté de la meilleure façon de combattre la dislocation de l’opérateur historique, la SNCF, et la remise en cause des droits de l’ensemble des cheminots. Des droits spécifiques aux métiers du rail mais aussi des droits communs à l’ensemble des salariés et que les ordonnances, combinées à l’ouverture à la concurrence, viennent percuter de plein fouet.

Nous ne vivons pas en dehors du temps et de l’espace, les cheminots comme tous les salariés sont confrontés aux événements nationaux, voire internationaux, a rappelé d’entrée de jeu François Grasa, réélu secrétaire général de la fédération, en présentant le rapport d’activité du bureau fédéral pour ces quatre dernières années (adopté à 92,25%).

Les près de quarante interventions à la tribune l’ont clairement démontré. Et c’est à l’unanimité qu’à l’issue de leurs travaux les délégués ont repris à leur compte la prise de position du Comité Confédéral National pour une mobilisation interprofessionnelle avant la ratification des ordonnances, dès les premières lignes de leur résolution générale.

Soulignant leur attachement à la sauvegarde des droits et conquêtes sociales de l’ensemble des travailleurs, ils ont spécifiquement mandaté leur fédération afin que celle-ci mette en œuvre tous les moyens nécessaires avec la Confédération dans le cadre d’une lutte interprofessionnelle. Une mobilisation dans laquelle la fédération prendra toute sa place, a confirmé François Grasa.

Pourquoi les cheminots se soucient-ils autant des ordonnances sur le Code du travail ?

Outre que la SNCF embauche de plus en plus de cheminots en CDI, hors statut [1], il convient de rappeler que ceux soumis au statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel, ne sont pas non plus des fonctionnaires. Ils ne sont pas payés par l’État mais par une entreprise publique chargée de la gestion d’une activité de service public industriel et commercial (Épic). L’État est l’actionnaire unique de la SNCF, mais n’est pas l’employeur des cheminots.

Le statut établit des obligations et des droits pour les cheminots de la SNCF. Il fixe notamment leurs rémunérations en fonction de qualifications précises, leur régime spécial de retraite et une garantie de l’emploi, du moins jusqu’à un certain point.

En effet, un cheminot sous statut peut être, pour reprendre le jargon interne à l’entreprise, révoqué pour raisons disciplinaires ou radié des effectifs de la SNCF, c’est-à-dire licencié. Il doit alors se tourner vers les prudhommes, comme tous les salariés du secteur purement privé.

Les cheminots sous statut de la SNCF ont un contrat de droit privé.

Les personnels de la SNCF sont soumis à une organisation du travail spécifique qui adapte le Code du travail de manière à assurer la continuité du service public en toutes circonstances. Par exemple, ils sont tenus à la durée légale hebdomadaire du travail mais peuvent travailler plus de six heures sans pause et même 24 heures d’affilée en cas d’accident.

De plus, si la SNCF emploie un peu moins de 150 000 cheminots, environ 5 000 autres travaillent déjà pour des entreprises privées, qui ont vu le jour après l’ouverture à la concurrence du fret en 2006 et du transport international de voyageurs en 2009 [2]. Il s’agit par exemple de Euro Cargo Rail, entreprise de fret ou encore de Thello, entreprise qui assure des liaisons ferroviaires entre la France et l’Italie.

Les CHSCT remis en cause, au moment où il faudrait les renforcer

L’instauration d’un barème pour les indemnités en cas de licenciement abusif préoccupe tout particulièrement les cheminots, dans un contexte de durcissement du management et de multiplication des représailles à l’encontre de cheminots qui tentent de résister à une déréglementation d’ampleur inédite.

Les délégués FO ont également exprimé de très fortes inquiétudes sur les conséquences de la fusion des IRP (Institutions représentatives du personnel).

Les cheminots redoutent en particulier la disparition des CHSCT en tant que tels, et leur transformation en une simple commission, avec des périmètres géographiques d’intervention beaucoup plus étendus.

Francis Grau, secrétaire régional FO cheminots Languedoc Roussillon, la région qui accueillait le congrès, explique : Cela va nous éloigner du terrain, alors que la proximité entre les élus du personnel et les salariés est extrêmement importante pour une meilleure compréhension de la situation et une relation de confiance. Aujourd’hui, je suis élu au CHSCT et délégué du personnel pour le Languedoc Roussillon, je couvre Sète, Carcassonne et Cerbère. Demain, je devrais peut-être intervenir sur des problèmes qui se poseront dans des villes très éloignées, sans pouvoir m’y déplacer et sans avoir les moyens de bien connaître la situation sur place.

Or en ce moment, les CHSCT devraient au contraire voir leur rôle conforté et leurs moyens accrus, au vu de la dégradation des conditions de travail subie par les cheminots, là encore du fait de l’ouverture à la concurrence…

La défense du service public plus que jamais à l’ordre du jour

Pour les cheminots, la première étape de la mobilisation a eu lieu le mardi 10 octobre puisqu’ils se sont joints aux fonctionnaires. En effet, ont expliqué les délégués au congrès, les politiques d’austérité qui conduisent au gel d’indice des fonctionnaires, ont [aussi] pour conséquences, les remises en cause du code du travail, des conventions collectives et des statuts, en conduisant à toujours plus de flexibilité, plus de mobilité avec comme principal objectif la baisse du coût du travail.

De plus, les cheminots constatent jour après jour la dégradation du service public ferroviaire, comme en ont témoigné plusieurs intervenants.

Quelque 30 000 emplois ont disparu ces 15 dernières années à la SNCF, dont 23 000 entre 2003 et 2013. Plus d’un quart de ces suppressions d’emplois ont concerné la gestion et la maintenance des infrastructures ferroviaires : 6 000 au total, dont 4 400 à la surveillance des voies, comme le rappelait déjà FO en 2013 au moment de la catastrophe de Brétigny-sur-Orge.

Si le rythme des suppressions d’emplois s’est un peu ralenti ces cinq dernières années, la tendance reste à la baisse (1 400 et 1 200 postes en moins en 2016 et 2017).

L’incident de Montparnasse, le plus bel exemple de la liquidation de l’entreprise intégrée

La loi de 2014 portant réforme du ferroviaire a fait éclater la SNCF en trois Epic, qui composent désormais le Groupe Public Ferroviaire (GPF).

Comme l’a souligné un intervenant, en réalité le sigle SNCF n’est plus qu’un logo, une marque.

De fait la Société Nationale des chemins de fer, entreprise unifiée et intégrant ses différentes activités en un seul ensemble, n’existe plus.

Le premier Epic, dit Epic de tête, prend en charge le pilotage global du groupe. L’Epic SNCF Mobilités gère le transport des passagers et des marchandises. Il emploie près des deux tiers des effectifs de la SNCF : les agents commerciaux, à l’accueil et à la vente, les contrôleurs, les conducteurs. L’Epic SNCF Réseau est responsable de la maintenance et de l’entretien du réseau ferré ainsi que de gestion de la circulation de tous les trains empruntant le réseau ferré national.

Le plus bel exemple de cette liquidation de l’entreprise intégrée est peut-être le fameux incident de la gare Montparnasse [du 30 juillet au 1er août dernier, NDLR] où malgré le professionnalisme de l’ensemble des cheminots, les barrières organisationnelles imposées par l’éclatement de l’entreprise en trois EPIC a été un facteur d’aggravation de la situation, ne serait-ce que pour l’information et la communication interne et externe, a résumé François Grasa à la tribune du congrès.

La SNCF est devenue un puzzle géant, dont les pièces changent au fur et à mesure de la partie

Le groupe SNCF, qui externalise de plus en plus d’activités, est aussi composé de plus de 650 filiales qui, comme l’explique la direction sur son site, assurent leur propre développement au sein d’un marché de plus en plus compétitif. Aujourd’hui, on peut même craindre une externalisation de la Sûreté ferroviaire, cette « police » ferroviaire dont la mission est de protéger, assister et sécuriser tant les voyageurs que les biens sur l’ensemble du réseau SNCF, a souligné Cédric Leblond, délégué de Paris Chapelle.

De plus, les restructurations, fusions de services et d’ateliers se multiplient de façon à adapter le fonctionnement de l’entreprise à des effectifs de plus en plus réduits, entraînant une forte polyvalence des cheminots, au mépris de leurs conditions de travail mais aussi du confort et de la sécurité des usagers.

Aujourd’hui la SNCF est devenue un puzzle géant, et en plus les pièces changent au fur et à mesure de la partie, a résumé un autre délégué.

Pour FO, c’est à l’État de régler la dette, pas aux cheminots

Le grand argument des gouvernements successifs pour justifier l’ouverture du secteur à la concurrence, la privatisation progressive de la SNCF et la baisse des droits des cheminots a toujours été la nécessité de résorber la dette de la SNCF.

Mais comme l’ont relevé les congressistes FO, celle-ci n’a pas cessé d’augmenter depuis la réforme ferroviaire de 2014 qui devait pourtant tout régler, passant de 44 milliards d’euros à l’époque à 52,8 milliards aujourd’hui. Certains prédisent même qu’elle pourrait atteindre 60 milliards en 2020.

Les délégués FO ont rappelé que c’est à l’État –et pas aux cheminots– de régler cette dette essentiellement due au choix de celui-ci de construire tous azimuts des nouvelles lignes à grande vitesse, au détriment d’ailleurs du reste du réseau ferré, plusieurs lignes dites « secondaires » et plusieurs « petites » gares ayant déjà fermé.

Régime spécial de retraite : les cheminots FO ne cèderont pas au chantage du président Macron

Mais l’actuel gouvernement semble bien vouloir aller encore plus loin que ses prédécesseurs. Dans une interview récente, le président Macron a en effet émis l’idée que l’État puisse reprendre la dette du groupe, voire réalise de nouveaux investissements pour l’entretien des lignes, mais à condition que les cheminots renoncent en échange à leur régime spécial de retraite actuellement garanti par leur statut.

Les cheminots FO ont condamné cet odieux chantage et exigent la reprise totale –et sans conditions– de cette dette par l’État.

Vent debout contre une nouvelle proposition de loi

Autre signe des temps, deux sénateurs, Louis Nègre et Hervé Maurey, ont présenté début septembre une proposition de nouvelle loi sur l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire.

Elle préconise notamment le transfert obligatoire des cheminots de l’opérateur historique, la SNCF, vers des entreprises privées et la transformation en société anonyme de l’activité Gares et Connexions actuellement intégrée à l’Epic SNCF Mobilités. Cette branche de la SNCF est chargée de gérer et développer les 3029 gares que compte le pays. C’est elle qui se charge de transformer les grandes gares en centres commerciaux, ce qui on s’en doutera peut effectivement représenter une affaire juteuse pour certains. Une affaire avec laquelle le service public n’a plus grand-chose à voir…

Plus dangereux, les technicentres, chargés de la maintenance du matériel, pourraient aussi être totalement ou partiellement cédés au privé, par définition plus préoccupé par la rentabilité que par la sécurité des usagers.

Du strict point de vue de l’intérêt des agents, ce projet de loi fragilise encore plus la situation du personnel de la SNCF, qu’il s’agisse des contractuels ou des personnels sous statut, qui à n’en pas douter serviront de variable d’ajustement ont condamné les délégués FO.

Les réformes passent, les revendications restent

On l’aura compris, les cheminots FO ne sont pas prêts de passer sous les fourches caudines de l’ouverture à la concurrence, porte ouverte à la privatisation de l’opérateur historique.

Ils le sont d’autant moins après avoir été échaudés par l’expérience du Fret. Alors que la direction de la SNCF et le gouvernement d’alors avaient prédit que celle-ci déboucherait sur une relance de l’activité, dix ans plus tard la situation de l’activité est catastrophique, a souligné Yves Jeannin, de la région de Lyon, chiffres à l’appui.

En 2009, 15 400 cheminots travaillaient au Fret. Ils ne sont plus que 5 000 aujourd’hui. En 2009, le fret ferroviaire transportait 48 millions de tonnes-kilomètre contre seulement 18 millions aujourd’hui. Les entreprises privées, comme Euro Cargo Rail, souffrent tout autant que la SNCF, toutes subissant en réalité la concurrence du transport routier, lui-même confronté à la concurrence d’entreprises de pays de l’Est…

Dans ce contexte particulièrement difficile, bien que confrontés à des bouleversements sans précédent, les cheminots FO ont pourtant choisi de ne pas baisser les bras. Ils continuent de revendiquer le retour au monopole public d’État et à la Société Nationale des Chemins de Fer Français une et indivisible et entendent visiblement se donner les moyens de l’obtenir, refusant de céder à un prétendu réalisme qui cache en fait le découragement, pour reprendre les termes d’un délégué.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

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