Les grands anciens versus Sauron

Actualités par Corinne Kefes

HP Lovecraft – JRR Tolkien Europe – Revue littéraire mensuelle Collectif, N° 1044 – Avril 2016, 348p, 20 €

Créée par Romain Rolland, la revue Europe présente la littérature et la culture dans toute leur diversité avec un regard renouvelé qui en fait sa distinction et sa force. Elle évoque dans ce numéro deux écrivains à part, en raison du genre qu’ils représentent mais surtout à cause de l’influence que leur œuvre respective a aujourd’hui. S’ils ne sont pas tout à fait les précurseurs de la fantasy moderne, ils l’élèvent à une forme littéraire à part entière et en engendrent même des courants. C’est sans doute cette postérité analogue qui permet de rapprocher ces deux auteurs aux univers imaginaires très différents. Leur vie, leur inspiration et leur œuvre sont diamétralement opposées. Là où Lovecraft évoque un monde avec une vision très sudiste, mêlant puritanisme, peur de l’autre et de la nature sauvage, reprenant le discours de la frontière, Tolkien revendique un héritage mythologique assumé, européen, chrétien, proche de l’épopée, du roman de chevalerie et du conte. Là où l’un insiste sur le poids du passé, sur les malédictions générationnelles, l’autre souligne l’importance de la transmission. Cette différence se ressent dans le style : chez Tolkien le mot est à la base de toute chose, comme générateur de réalité, la langue précédant l’existence ; chez Lovecraft c’est l’inverse : le mot est une graphie qui donne à voir plus qu’à comprendre car la langue est incapable de traduire la réalité. Il y a d’un côté une œuvre onirique avec une grande force de suggestion et de l’autre un univers épique centré sur le détail et la cohérence. L’émotion ressentie est alors soit intime et effrayante, soit collective et mélancolique.

L’un comme l’autre ont influencé l’imaginaire universel et leurs écrits littéraires connaissent une survivance impressionnante : on continue à découvrir leurs livres, à en faire des adaptations et à les étudier.