Les réseaux de Poutine en France : le pari de l’étranger

Enquête par David Rousset

Pour Nicolas Hénin, les relations franco-russes sont historiquement marquées par « la persistance d’un rapport d’attraction-répulsion ». © LUDOVIC / REA

Dans La France russe, le journaliste d’investigation Nicolas Hénin analyse l’influence que Vladimir Poutine exerce sur plusieurs secteurs de la société française, notamment au sein du monde des affaires et de la sphère politique.

Certes, nous ne sommes plus en période de guerre froide et la Russie d’aujourd’hui ressemble assez peu à l’URSS du siècle dernier. Il n’existe pas non plus de cinquième colonne qui ourdirait des complots contre la France pour la transformer en pays satellite. Mais l’enquête menée par Nicolas Hénin mérite pourtant le détour car l’auteur constate qu’il existe, notamment au sein des élites hexagonales, une proportion significative de gens qui reprennent, à propos de la Russie et de son président, les éléments de langage diffusés par le Kremlin. Nonobstant ceux qui agissent par simple appât du gain, l’attrait pour la Russie est affaire d’idéologie et, en la matière, Moscou ratisse large en déployant un discours multiforme et attrape-tout : anti-américanisme pour les uns, rejet de l’Union européenne, d’Israël, des pays du Golfe, ou de la Turquie pour les autres. Du coup, dans le champ politique, la Russie réussit à séduire aussi bien à gauche qu’à droite, mais surtout à l’extrême droite.

Russophobe ou russophile ?

Pour Nicolas Hénin, les relations franco-russes sont historiquement marquées par « la persistance d’un rapport d’attraction-répulsion », et la France connaît depuis plus de deux siècles une sensibilité russophobe et une autre russophile. Auprès de cette dernière, la Russie de Poutine « rencontre un succès certain parce qu’elle répond habilement à des obsessions françaises : culte du chef, crainte de la standardisation du monde (les Français revendiquent toujours l’exception culturelle), américanisme, nostalgie gaulliste... ».

Le livre apporte aussi son lot de révélations surprenantes. L’auteur cite ainsi une note confidentielle interministérielle consacrée à l’actuel espionnage russe en France, selon laquelle la moitié des diplomates russes en France sont en fait des agents des services de renseignement, « soit une centaine de personnes ».

De même, la moitié des entreprises françaises du CAC 40 possèdent des intérêts économiques en Russie et se retrouvent donc, à un moment ou à un autre, à faire du lobbying en faveur de Moscou.

Enfin, qu’il s’agisse de l’Église orthodoxe ou de médias russes, Nicolas Hénin n’oublie pas de recenser les principaux canaux par lesquels s’exerce le soft power russe, mais le lecteur ne pourra que constater un paradoxe. Si les moyens mis en œuvre par le Kremlin peuvent paraître importants, les résultats sont somme toute très modestes, et qu’il s’agisse des élites politiques ou culturelles françaises comme du reste de la population, le modèle russe est beaucoup moins attractif que l’européen et l’influence états-unienne est sans commune mesure avec celle de la Russie. 


Révélation : Un extrait marquant du livre de Nicolas Hénin

Nicolas Hénin raconte qu’en juin 2007, Nicolas Sarkozy, fraîchement élu, interpelle sèchement Vladimir Poutine à propos des droits de l’homme et de la guerre en Tchétchénie. Impassible, le président russe laisse son homologue parler puis prend la parole : « C’est bon, tu as fini ? Alors je vais t’expliquer : ton pays, il est comme ça… Il fait un geste avec ses deux mains proches l’une de l’autre. Puis il écarte les bras : Et mon pays, il est comme ça. Maintenant, tu as deux solutions : ou bien tu continues à me parler sur ce ton et je t’écrase. Ou alors tu changes de registre et je peux te faire roi d’Europe. » Poutine ponctue son discours de formules grossières et humiliantes pour en accroître l’impact. Sarkozy est choqué. Il sort, livide, KO debout (p. 112).
Nicolas Hénin, La France russe.
Éditions Fayard, 324 pages, 19 euros.