Loi travail : Il y a trente-quatre ans, les lois Auroux ouvraient la voie

Projet El Khomri par Evelyne Salamero

Article publié dans l’action Dossier Loi Travail

La volonté d’en finir une fois pour toutes avec la hiérarchie des normes et le principe de faveur qui protègent le salarié est au cœur du projet de réforme El Khomri. Mais depuis plus de trente ans, patronat et gouvernements ont posé des jalons...

L’avant-projet de loi de Myriam El Khomri remet en cause la hiérarchie des normes et le principe de faveur en permettant aux employeurs de conclure des accords dérogatoires « offensifs ». © HAMILTON / REA

Aujourd’hui encore, malgré plusieurs brèches dans l’édifice, le droit du travail français repose sur la combinaison de deux principes de droit : la hiérarchie des normes et le principe de faveur (articles L.2251-1 et L.2254-1 du Code du travail).

Principe de faveur et égalité républicaine

Concrètement, quand la relation de travail est régie par plusieurs normes (Code du travail, convention collective ou accord de branche, accord d’entreprise), c’est la plus favorable au salarié qui doit s’appliquer, tant qu’elle ne remet pas en cause les règles d’ordre public contenues dans la loi (par exemple, une convention collective ne peut contenir une clause limitant son application aux seuls salariés adhérents d’un syndicat, ce qui serait contraire au principe d’égalité et donc à la Constitution).

1982 - Loi Auroux, dérogation et droit d’opposition

La loi Auroux du 13 novembre 1982 sur la négociation collective a introduit la possibilité de conclure des accords d’entreprise dérogatoires aux dispositions plus favorables des conventions collectives et accords de branche ou interprofessionnels (en matière de majorations de salaires). Elle a toutefois prévu la possibilité pour les syndicats majoritaires de bloquer ce type d’accords en faisant valoir un droit d’opposition.

2008 - Accord majoritaire

La loi de 2008 sur la « démocratie sociale », précédée de la position commune signée par la CFDT et la CGT, a introduit la notion d’accord majoritaire, non plus pour s’opposer à un accord dérogatoire (notamment sur le contingent d’heures supplémentaires) mais pour le valider (représentativité de 30 % requise et maintien du droit d’opposition à 50 %).

2013 - Baisse de salaire au nom de l’emploi

En 2013, un accord (CFDT, CGC, CFTC) suivi d’une loi ont permis à l’employeur, en échange d’un engagement de maintien de l’emploi sur deux ans, de modifier le temps de travail et la rémunération (accords dits « défensifs »).

2016 - Loi Travail et référendum

L’avant-projet de loi El Khomri empire considérablement les choses en prévoyant qu’un accord dérogatoire puisse désormais être conclu simplement « en vue de la préservation ou du développement de l’emploi ». Gouvernement et patronat expliquent vouloir passer d’accords « défensifs » à des accords « offensifs ». Ils se substitueraient au contrat de travail et, en cas de refus, le salarié pourrait être licencié pour motif personnel et non plus économique, avec la perte de droits que cela implique.

Enfin, au cas où l’accord dérogatoire ne recueillerait pas l’aval des syndicats majoritaires, un référendum pourrait être organisé pour le faire valider par des salariés placés directement sous la pression de l’employeur et de son chantage à l’emploi.

Là encore, une des lois Auroux, celle d’août 1982 sur les libertés des salariés dans l’entreprise, a ouvert la voie en instaurant « le droit d’expression directe des salariés ». Mais jusqu’à présent, il n’existait qu’à titre consultatif.


Rappel : La liberté de négociation au fil du temps...
1950 : la loi du 11 février, obtenue par la mobilisation à l’appel de la toute jeune CGT-FO, met fin à la tutelle de l’État sur les salaires. Les négociations sont possibles à tout moment, à tout niveau, à l’initiative des syndicats.
1982 : la troisième loi Auroux réduit la négociation sur les salaires à une négociation annuelle obligatoire (NAO).
2016 : la loi Rebsamen réduit les NAO (qui ne concernent plus les seuls salaires) à trois rendez-vous au lieu de douze. La périodicité peut être portée à trois ou cinq ans par accord majoritaire d’entreprise.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

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