Modulation du temps de travail et accord du salarié : quand la loi Warsmann est-elle applicable ?

Durée du travail par Secteur des Affaires juridiques

Privilégier un accord conclu dans une situation où le salarié se trouve dans le rapport de force le moins favorable, en l’occurrence dans l’entreprise, et en faisant fi du principe de faveur et de l’ordre public social, est une tendance trop poursuivie depuis des années dans les rangs patronaux. On la retrouve dans la loi du 20 août 2008 « portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail », dont la loi Fillon avait pavé le chemin en 2004. La loi Warsmann du 22 mars 2012 se fonde dessus pour moduler à sa guise le temps de travail sans que le salarié puisse s’y opposer. Ni non plus la jurisprudence, qui s’efforce d’en limiter les effets. La Cour de cassation a néanmoins établi que toute modulation du travail exigera l’accord du salarié si elle a été décidée avant la publication de cette loi.

La mesure qui affecte un ou plusieurs éléments essentiels du contrat de travail d’un salarié correspond à une modification du contrat nécessitant l’accord de l’intéressé. La durée du travail étant considérée comme un élément essentiel du contrat, sa modulation [1] nécessite l’accord exprès du salarié (Cass. soc., 28 septembre 2010, n°08-43161). Tel était l’état du droit jusqu’en 2012.

La loi Warsmann du 22 mars 2012 (loi n°2012-387) a incorporé une disposition fragilisant le contrat de travail au profit de l’accord d’entreprise. L’article 45 de la loi, retranscrit à l’article L.3122-6 du Code du travail, dispose que : « La mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif [2] ne constitue pas une modification du contrat de travail. »

Ne constituant plus une modification du contrat, les modulations du temps de travail conclues par accords d’entreprise s’imposent au salarié, son refus pouvant légitimer un licenciement pour motif personnel, voire pour motif disciplinaire.

Cette loi n’est que la conséquence du long processus de renversement de la hiérarchie des normes [3], opéré notamment par la loi du 20 août 2008 de modernisation du dialogue social. L’objectif poursuivi par cette loi est de faire primer l’accord d’entreprise sur les accords de branche dans la hiérarchie des normes en droit du travail, et ce, dans l’espoir d’ajuster au plus près les accords négociés aux besoins des entreprises. Ce processus participe à la fragilisation du contrat de travail, mais également à la déstabilisation des accords de branche, qui permettaient une meilleure défense des intérêts des salariés. Il est dorénavant établi que l’accord d’entreprise est l’accord négocié privilégié par le législateur –exit le principe de faveur [4]–, ce dernier peut donc déroger à l’accord de branche, et ce, dans un sens défavorable aux intérêts du salarié.

C’est dans ce contexte législatif que la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 septembre 2013, rappelle le principe suivant : « Attendu, cependant, que l’instauration d’une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l’accord exprès du salarié ; que si l’article 45 de la loi nº 2012-387 du 22 mars 2012 insère dans le Code du travail l’article L. 3122-6, selon lequel la mise en place d’une répartition des horaires sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à l’année prévue par un accord collectif ne constitue pas une modification du contrat de travail, ce texte, qui, modifiant l’état du droit existant, n’a ni caractère interprétatif [5], ni effet rétroactif, n’est applicable qu’aux décisions de mise en œuvre effective de la modulation du temps de travail prises après publication de ladite loi. » (Cass. soc., 25 septembre 2013, n°12-17776, PBR).

Pour la Cour de cassation, il s’agit ici d’encadrer les effets de la loi Warsmann et de les limiter en posant comme principe que l’article L.3122-6 du Code du travail ne s’applique que pour les accords d’entreprise relatifs aux modulations du temps de travail mis en œuvre à partir du 24 mars 2012, c’est-à-dire à compter de l’entrée en vigueur de la loi.

C’est ainsi que les deux salariés ayant porté leur litige devant les tribunaux, dans le but d’obtenir un rappel de salaire et le paiement d’heures supplémentaires du fait de l’application d’un accord négocié en 2002 sans leur accord exprès, ont obtenu gain de cause. En effet, tous les accords mis en œuvre avant l’entrée en vigueur de la loi et relatifs à la modulation du temps de travail restent soumis à l’ancienne législation, qui prévoit que toute mise en œuvre de la modulation exige l’accord du salarié.

La position de la Cour de cassation suit malheureusement l’avis du Conseil d’État du 19 septembre 2011 et fixe comme marqueur d’application de la loi Warsmann non pas la date de conclusion de l’accord d’entreprise, comme le souhaitait Force Ouvrière, mais la date de sa mise en œuvre. Ainsi, un accord conclu avant l’entrée en vigueur de la loi, mais mis en œuvre à compter du 24 mars 2012, pourra s’imposer aux salariés sans avoir préalablement à recueillir leur assentiment.

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Notes

[1Aménagement du temps de travail permettant, sous conditions, d’adapter le temps de travail des salariés aux besoins de l’entreprise.

[2Acte juridique conclu après une négociation entre interlocuteurs sociaux. Son périmètre est moins large que celui d’une convention.

[3Impose que le niveau supérieur l’emporte sur l’inférieur, soit dans l’ordre : le constitutionnel, le bloc législatif et réglementaire, puis le conventionnel.

[4Fondamental dans le droit du travail, il établit qu’en cas de conflit entre des textes sera appliqué celui dont les dispositions sont plus favorables aux salariés.

[5Possédé par un texte législatif qui vient préciser une loi antérieure sans la modifier, mais qui peut entraîner une rétroactivité.