Participation chez Lapeyre : déboutée, FO compte faire appel

Emploi et salaires par Clarisse Josselin

Le 6 juin 2013, les salariés avaient manifesté devant le Palais des Congrès de Paris où se tenait l’assemblée générale des actionnaires de Saint-Gobain, pour dénoncer le montage financier.

Près de 1800 salariés du spécialiste des portes et fenêtres, avec FO et la CGT, ont saisi la justice en 2012 pour récupérer des millions d’euros de participation aux bénéfices siphonnés par Saint-Gobain, la maison-mère. Le 26 septembre, ils ont perdu en première instance.

« On est déboutés et dégoûtés, mais on va faire appel », réagit Jérôme Garrec, délégué central FO chez Distrilap, la chaîne de magasins Lapeyre, à l’annonce du jugement du tribunal de grande instance de Nanterre, le 26 septembre. Cinq ans qu’il attendait le verdict, tout comme les 1776 salariés plaignants et les élus FO et CGT.

C’est en 2012 qu’ils ont assigné en justice le groupe Lapeyre, quatorze de ses filiales, et la maison-mère Saint-Gobain, pour dénoncer un montage financier permettant à des holdings de capter la quasi-totalité des bénéfices, ne laissant qu’une maigre participation aux salariés. Ils évaluent le montant du hold-up à 81,4 millions d’euros entre 2002 et 2008 et réclament 19 millions d’euros de rattrapage pour les plaignants. En la matière, il n’existe pas encore de jurisprudence.

96 % des bénéfices captés par des holdings

Concrètement, ils dénoncent un découpage artificiel de l’entreprise pour assécher la participation aux bénéfices. Les sociétés usines du groupe sont obligées de céder leur production à un prix inférieur au marché à leur seul client, la holding Lapeyre SA, « véritable coquille vide dépourvue de salariés  » selon le syndicat FO. Cette dernière revend ensuite les produits aux consommateurs via Distrilap, la chaîne de magasins Lapeyre, qu’elle rémunère par des commissions sur les ventes, elles aussi trop faibles. Un système identique est mis en place pour les fenêtres K par K, priorité du groupe Lapeyre. Au total, les deux holding, Lapeyre SA et K par K, captent 96 % des bénéfices. Elles les font remonter à Saint-Gobain grâce à Partidis, une troisième holding sans salariés, détenue à 100% par la maison-mère.

Ce montage artificiel a été découvert en 2009 grâce à une expertise comptable en CCE. En 2011, un accord a été trouvé avec la direction sur la mise en place d’une participation à l’échelle du groupe. Mais un certain nombre de salariés ont saisi la justice pour réclamer leurs arriérés. Lors de l’audience au tribunal de Nanterre le 6 juin, Lapeyre a nié acheter à ses usines les produits à un prix inférieur au marché. La direction a aussi défendu sa liberté d’organiser son groupe.

Le juge n’examine pas si les agissements de l’employeur sont fautifs

Le juge a donné raison à la défense. «  Les demandeurs soutiennent que le découpage artificiel de l’entreprise en sociétés sans autonomie économique et dépendantes de sociétés holdings impliquent de revoir le périmètre de l’entreprise pour le calcul de la participation  », explique le tribunal dans sa décision écrite, dont FO Hebdo a obtenu copie. Or il estime que « la notion d’entreprise n’a pas, dans le code du travail, un périmètre variable selon le droit envisagé  ». Il ajoute que le correctif en la matière serait «  la reconnaissance d’une unité économique et sociale pour échapper à un éventuel morcellement des sociétés », qui n’est « ni établie, ni demandée », ou un accord au niveau du groupe, ce qui existe désormais.

Le tribunal conclue que « les agissements fautifs – s’ils existent, et sans qu’il y ait lieu de les examiner – ne peuvent avoir pour effet de modifier le cadre de référence légal et amener à calculer la participation à laquelle chacun peut prétendre dans un périmètre autre. »

Un mois pour faire appel

« Le juge a refusé d’examiner si les agissements de l’employeur, c’est-à-dire son découpage de l’activité en diverses sociétés, sont fautifs ou pas, le message de la justice est de dire qu’on ne peut pas obtenir réparation d’un préjudice passé et qu’il n’y a qu’à créer une unité économique et sociale pour l’avenir, a réagi l’avocate Maître Aline Chanu auprès de l’AFP. On autorise ainsi les sociétés à mettre en place un système qui viendrait faire échec au droit des salariés à percevoir une participation. C’est un déni du droit à la réparation d’un préjudice ».

Les plaignants ont un mois pour faire appel. « La semaine prochaine on va mobiliser tout le monde, même si ce ne sera pas facile de monter le dossier dans un délai aussi court, alors que plein de salariés ont quitté l’entreprise, poursuit Jérôme Garrec. Mais il faut bien que la justice statue sur ces montages financiers hyper complexes. »

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

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