Pas d’amende pour les multinationales irrespectueuses des droits humains

Responsabilité sociale des entreprises par Nadia Djabali

Le Conseil constitutionnel a invalidé l’amende de 10 à 30 millions d’euros prévue pour les multinationales coupables d’atteintes graves aux droits humains et environnementaux, dont le siège social est établi en France.

Cela devait être une avancée historique face à l’impunité des multinationales en matière de droits humains, syndicaux et environnementaux. Mais les sanctions prévues par les parlementaires en cas de manquement au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre n’auront pas passé l’examen du Conseil Constitutionnel. Bien qu’ayant validé le texte de loi, les 10 à 30 millions d’euros d’amende n’ont pas recueilli les faveurs des Sages de la rue Montpensier. La loi perd ainsi une grande partie de sa force de persuasion.

Sous-traitances en cascade

Retour en arrière. Après plus deux années de débat parlementaire enflammé et la rédaction de plusieurs versions, la loi relative au devoir de vigilance des entreprises est votée le 21 février 2017. Objectif du législateur : prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement que peuvent causer les très grandes entreprises via leurs activités et celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Il s’agit de responsabiliser les sociétés multinationales dont bien souvent les chaînes d’approvisionnement sont constituées par une cascade de sous-traitants.

Et en cas d’accident, comme celui du Rana Plaza en 2013, les responsabilités sont tellement diluées, que ces multinationales ne sont guère inquiétées. L’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza au Bangladesh a blessé 2 000 personnes et causé la mort de 1 138 autres, la plupart des femmes. L’immeuble abritait des ateliers de confections de vêtements appartenant à des sous-traitants de grandes marques occidentales, et parmi elles des enseignes françaises.

Réduction des coûts et des délais

Sur la sellette : la pression qu’exercent ces grandes entreprises sur leurs fournisseurs. Concrètement : un certain nombre de multinationales à la recherche des moindres coûts de production et délais de livraison sont peu regardantes sur les conditions de travail en cours chez leurs fournisseurs. Hommes, femmes et enfants y travaillent sans protection sociale, sans hygiène, sans sécurité, sans jours de repos, douze heures par jour, et ce, pour des salaires misérables.

La loi de février 2017 concerne 150 à 200 entreprises possédant un siège social en France employant plus de 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde (filiales comprises). Ces grandes entreprises sont désormais obligées rendre public et mettre en œuvre un plan de vigilance comportant des mesures permettant d’identifier les risques sociaux et environnementaux. Il s’agit également de prévenir les atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales commises par la société mère, ses filiales, leurs fournisseurs et sous-traitants, en France comme à l’étranger.

Une cartographie pays par pays

Le plan de vigilance permettra de cartographier des risques pays par pays, de mettre en place une procédure d’alerte, des audits sociaux et environnementaux, des mesures de prévention de la sous-traitance en cascade, ainsi que des mesures d’information et de consultation des organisations syndicales.

En cas de non-respect, la législation prévoyait une riposte graduée : d’abord une mise en demeure ; puis une injonction prononcée par un juge. Enfin, une amende civile de 10 à 30 millions d’euros si l’absence de plan débouchait sur un préjudice comme par exemple la pollution d’un cours d’eau ou des accidents du travail.

Des expressions trop générales

Ce sont ces sanctions financières qui ont été retoquées par le Conseil constitutionnel. Raison invoquée : l’imprécision des termes employés dans le texte de loi. Les expressions mesures de vigilance raisonnable et actions adaptées d’atténuation des risques sont trop générales ; Les Sages ont également considéré que la mention par la loi des atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales était large et indéterminée ; et enfin que le périmètre des sociétés, entreprises et activités entrant dans le champ de l’infraction était très étendu.

La décision du Conseil constitutionnel arrive au terme d’un processus législatif marqué par un intense lobbying patronal de la part du Medef et surtout de l’Association française des entreprises privées (Afep) qui représente les grandes entreprises françaises et étrangères établies en France. Le périmètre de la loi, fixé à l’origine aux entreprises de 500 salariés, est passé à celles en employant 5 000, voire 10 000.

Un verre à moitié plein

Un des arguments portés par l’Afep : la loi est une initiative française isolée d’un point de vue international. Cette approche provoquera une perte de compétitivité pour les entreprises françaises par rapport à leurs concurrentes étrangères. Un point de vue aux antipodes de celui d’Andrée Thomas, secrétaire confédérale FO du secteur international. Pour elle, cette loi était un premier pas important dans la régulation de la mondialisation dans le cadre complexe des chaînes d’approvisionnement et de sous-traitance. Et pour prendre pleinement effet, cet élan doit être porté au niveau européen et international.

Quelle portée conserve cette loi si les sanctions financières sont inexistantes ? La plupart de ses défenseurs ont ravalée leur déception et préfèrent désormais regarder le verre à moitié plein. Les injonctions du juge feront peser un risque de réputation. Et en ces temps de forte promotion de la responsabilité sociale des entreprises, victimes, syndicats et associations pourront désormais saisir la justice.

Nadia Djabali Journaliste à L’inFO militante