Plan d’investissements : sa finalité et ses moyens en question

Economie par Valérie Forgeront

Remise au premier ministre du rapport sur le Grand Plan d’Investissement. © HAMILTON/REA

Le gouvernement utiliserait-il la vieille technique du souffle froid et du chaud ? Pour mieux injecter de l’air froid ce 27 septembre à travers un projet de loi de finances pour 2018 qui pourrait porter des mesures d’austérité budgétaire, le gouvernement soufflerait d’abord un peu d’air chaud via un « grand plan d’investissements » (GPI) présenté le 25 septembre ? Pas si simple. Le souffle chaud censé être amené par le plan d’investissements reste en effet à prouver.

Le plan quinquennal 2018-2022 présenté ce lundi par le Premier ministre M. Édouard Philippe sur la base de recommandations contenues dans le rapport rédigé par l’économiste M. Jean Pisani-Ferry se verra affecté un financement de 57,1 milliards d’euros.

Le plan –se trouvant une analogie avec le plan européen Junker– est structuré selon quatre secteurs. La transition écologique qui bénéficiera d’une enveloppe de 20,1 milliards, l’axe « compétences » et formation qui recevra 14,6 milliards, la compétitivité sur l’innovation qui sera dotée de 13,1 milliards et la réforme numérique de l’État qui obtiendra 9,3 milliards.

Quels objectifs poursuit ce plan ? En matière de transition énergétique il s’agit par exemple pour le GPI de participer à la rénovation de l’ensemble des bâtiments publics d’ici 2040 ou encore à éliminer d’ici dix ans les passoires énergétiques autrement dit les bâtiments gros consommateurs d’énergie. En ce qui concerne les « compétences », le GPI devra prendre sa part pour parvenir à une meilleure insertion dans l’emploi des moins diplômés et plus largement pour obtenir une baisse de deux points du chômage structurel d’ici 2022.

Le volet « compétitivité » de l’économie participera lui à amplifier le redressement de la compétitivité ou encore à accélérer la montée en gamme de l’économie. Quant au volet concernant la réforme numérique de l’État, il devra participer à une réduction de plus de trois points du ratio des dépenses publiques.

Haro sur les passoires thermiques

Tous ces objectifs généraux auxquels devront participer les différents volets du GPI seront soutenus par des réformes prévoit le gouvernement. Cela va du relèvement de la fiscalité appliqué au diesel à la transformation du CICE en allègement de cotisations patronales en passant par la réforme de la fiscalité sur le capital, la réforme de l’enseignement par alternance, la réforme de l’assurance chômage, le renforcement des allègements de cotisations sur le travail peu qualifié…

Le grand plan d’investissements mettra en action différentes mesures au sein des quatre volets. Parmi les mesures du GPI en matière écologique, l’aide à la rénovation de logements passoires thermiques occupées par des ménages modestes, le financement de solutions d’optimisation de l’efficacité énergétiques dans la gestion des parcs immobiliers urbains, le soutien au développement des transports plus propres, l’aide au renouvellement des réseaux routiers et ferroviaires, le financement d’une prime à la transition pour aider les ménages à acquérir des véhicules propres en visant le remplacement de 500 000 véhicules ou encore le soutien à l’augmentation de 70% de la production d’énergie renouvelable d’ici 2022.

Une mesure pour les jeunes « décrocheurs »

En matière de compétences et de formation le GPI qui annonce le gouvernement devrait être « articulé » par une loi de modernisation de la formation professionnelle et de l’apprentissage doit participer à rendre l’accès à l’emploi à deux millions de personnes. Parmi les mesures de ce volet compétences/formation, le gouvernement souhaite mettre en place un accompagnement renforcé des jeunes décrocheurs qui sont ni en formation ni en emploi. Le GPI vise à permettre la mise en formation de 800 000 jeunes.

Plus largement le plan prévoit le financement de deux millions de formations. Il prévoit aussi la mise en place de formations pour les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail ou encore de rénover le premier cycle universitaire.

Un troisième axe du GPI vise à ancrer la compétitivité sur l’innovation. Pour cela les entreprises sont des acteurs de premier plan de la recherche et développement et assurent ainsi l’assise technologique française indique le gouvernement qui entend renforcer le lien entre la recherche universitaire publique et la recherche appliquée privée.

Pour le développement de produits innovants dans le cadre de travaux mettant en collaboration les universités et les entreprises l’accompagnement de l’État prendra la forme d’avances remboursables. Cela permet de réduire les coûts des incertitudes associées à la réalisation de ces objectifs très ambitieux indique le gouvernement.

Pour que l’État dépense moins demain…

Par ailleurs l’État aidera les jeunes entreprises en croissance les plus innovantes et qui peinent à trouver suffisamment de financement en France… Auprès des entreprises bancaires suppose-t-on. Par ce grand plan d’investissements, l’État entend soutenir aussi l’activité de recherche et de développement dans la filière aéronautique. Le GPI prévoit encore de soutenir le déploiement du très haut débit et de financer la croissance et la consolidation des entreprises de l’aval des filières, agroalimentaires ou non.

Le quatrième volet du « grand plan » consistera lui à construire l’État de l’âge numérique annonce le gouvernement précisant qu’il s’agit de dépenser moins demain. Un nouveau chantier baptisé « Action publique 2022 » vise notamment à accompagner rapidement la baisse des dépenses publiques, avec un engagement ferme : réduire de trois points leur part dans le PIB d’ici 2022.

Pour le gouvernement –qui prévoit par ailleurs la réalisation d’économies sur les dépenses publiques à hauteur de seize milliards l’an prochain– ces projets impliquent de repenser profondément et durablement les missions des acteurs publics, État, opérateurs, collectivités territoriales et organismes de sécurité sociale et de mettre en œuvre les transformations nécessaires.

Le gouvernement évoque la nécessité de réformes structurelles. Il s’agira par exemple dans le cadre du GPI de financer des expérimentations dans le but de multiplier les startups de l’administration et leur permettre de se développer pour offrir les meilleurs services publics aux usagers.

Quand les agents constituent un frein…

Le GPI financera par ailleurs la mise en place d’un fonds pour la transformation publique. Celui-ci sera doté d’un comité d’investissement dont la gouvernance sera assurée pour moitié par des personnalités extérieures à l’administration (économistes, investisseurs, personnalité étrangères). Ce fonds aura notamment pour but de vaincre la difficulté des réorganisations que freine la faible mobilité des agents publics entre services et au sein même des services

Plus largement le gouvernement vise un objectif de 100% des services publics numérisés d’ici 2022. Certaines démarches de l’usager envers l’administration jugées « obsolètes » seront par exemple supprimées et remplacées par un service numérique. Par ailleurs annonce le gouvernement, le GPI participera à accélérer la transition numérique du système de santé.

Pour chacun des programmes prévus au sein des quatre volets du grand plan d’investissements, le gouvernement annonce d’ores et déjà des montants de financement. 4,6 milliards iront par exemple à développer l’innovation dans l’industrie et les services. 4,4 milliards seront consacrés à la modernisation de l’action publique pour moins dépenser demain

Mais d’où proviendront l’ensemble des financements annoncés pour ce GPI qui entend induire la création de 300 000 emplois et faire baisser le taux de chômage structurel d’un point d’ici 2022 ? Il y aura quatre source de financement explique le gouvernement.

Redéploiements de crédits

D’abord des crédits « existants », soit 12,1 milliards, seront réorientés vers le plan. Concrètement il s’agit d’un redéploiement de crédits. A titre d’exemple indique le gouvernement 10% des crédits de formation professionnelle des agents publics seront mobilisés pour accompagner l’évolution de leurs métiers dans le contexte de développement du numérique.

Le financement du GPI se fera aussi au moyen de plusieurs instruments financiers (prêts, garanties, fonds propres) a annoncé le Premier ministre sans en détailler les paramètres. Ces instruments devront apporter onze milliards de financement.

Le plan d’investissements remet en selle aussi le PIA3 le troisième plan d’investissements d’avenir annoncé en 2015 par l’ancien chef de l’État et qui devait être doté de dix milliards. Ce PIA3 jamais activé revient donc dans l’actualité. Il sera doté de dix milliards. Quatre provenant de fonds propres et six de subventions.

Des cadeaux qui se payent

Enfin le GPI sera financé aussi par des mesures nouvelles qui auront un impact budgétaire. Ce financement sera de vingt-quatre milliards d’euros sur cinq ans soit 4,8 milliards d’euros en moyenne par an… Ce montant équivaut pratiquement à ce que rapporte à l’État chaque année l’impôt ISF (impôt de solidarité sur la fortune). Le gouvernement prévoit la transformation de l’ISF dès l’an prochain sur le mode de l’amoindrissement puisque seul le patrimoine immobilier sera taxé.

Autre comparaison ? Le montant du financement annuel moyen des mesures nouvelles dédiées au plan d’investissement –soit 4,8 milliards d’euros– équivaut à la moitié du manque à gagner qu’induira d’ici 2022 la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (IS assis sur les bénéfices). La perte sera en effet de onze milliards d’euros pour l’État.

Ce dernier montant correspond d’ailleurs exactement au financement que le gouvernement prévoit d’apporter en cinq ans à travers des prêts, garanties et fonds propres au Grand plan d’investissements… Lequel soutiendra notamment les entreprises.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante