Ringolevio : la vie d’un Robin des Bois sixties

Livre par Michel Pourcelot

Un ex-délinquant juvénile devenu un Robin des Bois au cœur de l’Amérique conservatrice... Ringolevio narre les tribulations d’un petit new-yorkais passé au rang de figure légendaire de la contre-culture et de la contestation radicale américaines. Longtemps difficilement trouvable, il est aujourd’hui réédité.

« Emmett Grogan » by Source. Licensed under Fair use via Wikipedia.

On est dans l’Amérique de l’après-guerre et, à New York, les pré-ados forment des bandes qui s’affrontent dans un jeu fort sérieux : le Ringolevio. C’est le début de l’histoire de Kenny Wisdom, né fin 1942 dans une modeste famille d’origine irlandaise au cœur d’un quartier défavorisé de New York. Délinquant fort juvénile, il écume les riches appartements de Manhattan, connaît drogue et prison, sans avoir même fêté son 15 ème anniversaire. Une trajectoire similaire à celle du poète et rockeur Jim Carroll dans Basketball Diaries, publié en 1994 et porté au cinéma l’année suivante, avec Di Caprio dans le premier rôle. Un destin que n’a pas connu Ringolevio, sorti en 1972. Tout est raconté à la troisième personne et pour le moins sans modestie. Kenny échappe lui au ghetto en devant quitter New York suite à une sombre affaire. Direction l’Europe, où il se frotte à la culture du Vieux continent et à de nouvelles idées. Devenu rebelle avec une cause, il revient aux États-Unis. Il opte pour le nom d’Emmett Grogan. À l’aube des grands mouvements de contestation des années soixante, il va en devenir l’une des personnalités phares. En fondant, vers 1965, à San Francisco, le mouvement des Diggers, qui entend passer à l’action concrète, entre autres en volant, le plus souvent de la nourriture aux riches pour redistribuer aux pauvres. On est loin de la maison bleue sur la colline. Parmi les fondateurs des Diggers : Peter Coyotte, issu du théâtre de guérilla, dont le but affiché est d’accélérer la prise de conscience des opprimés. Le nom de Diggers était à l’origine celui d’un mouvement communiste agraire éphémère né lors de la Révolution anglaise du XVIIe siècle. Star malgré lui, Grogan a alors vite affaire aux gurus de la contre-culture, notamment Abbie Hoffman et Jerry Rubin. Il dénonce violemment l’arrivisme de ces faux prophètes ainsi que le mercantilisme de leurs acolytes. Il n’épargne guère que Ginsberg et Dylan, qui honorera d’ailleurs sa mémoire en lui dédicaçant son disque Street Legal en 1978. Mais affronter et écorner ainsi ces figures sacrées de sixties ne lui valut pas, encore aujourd’hui, que des amis. Grogan finira d’ailleurs par prendre un sérieux recul et se tourner vers l’écologie naissante, non sans se faire rattraper par quelques vieux démons : en vril 1978, il succombe à une overdose. Mourant jeune après avoir vécu vite. Comme l’a souligné Peter Coyotte, même si dans Ringolevio tout n’est pas forcément vraiment arrivé comme Grogan l’a écrit, tout est vrai.

Ringolevio. Une vie jouée sans temps morts, d’Emmett Grogan, publié le 22 mai 2015 aux éditions de l’Echappée, 704 pages avec 40 illustrations d’époque. Prix environ 25 euros.

Michel Pourcelot Journaliste à L’inFO militante

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