Santé : le salarié au chômage demeure un travailleur

Prévention par Mathieu Lapprand

Michel Debout, psychiatre et professeur émérite de médecine légale et droit de la santé au CHU de Saint-Étienne. © Jerome CHATIN /EXPANSION-REA

La médecine du travail ne suit plus le salarié qui perd son emploi. Une durée de vie réduite, un état de santé dégradé et une vie familiale et sociale affectée sont pourtant fréquemment des conséquences du chômage, comme le rappelle le livre de Michel Debout intitulé Le traumatisme du chômage.
Il y trace les pistes d’une prise en charge préventive de la santé non seulement au travail, mais aussi en dehors de celui-ci.

Le traumatisme du chômage fait le constat de décennies d’inaction concernant la prise en charge sanitaire du chômage et prône la mise en place d’un suivi des assurés sociaux par une médecine préventive tout au long de la vie, quels que soient l’âge ou la situation.

Le traumatisme du chômage, éditions de l’Atelier, 94 pages, 12 euros.

L’inaction visée est celle des pouvoirs publics, mais également, sauf exceptions, des chercheurs et des professionnels de santé. Or des publications existent et la corrélation entre chômage, précarité et risque suicidaire a été établie il y a près d’un siècle lors de la « grande crise » de 1929. À l’international, l’ augmentation, principalement chez les chômeurs, du nombre de suicides en Angleterre et dans les pays du sud de l’Europe – Grèce, Italie, Espagne Portugal – est expliquée par le fait qu’un homme au chômage a un risque annuel de décès environ trois fois plus élevé qu’un actif occupé du même âge, et ce, quelle que soit la cause du décès.

Enfin, une étude menée en France en 2009 a montré un lien entre précarité sociale et risque suicidaire. Dans Le Monde, en 2011, Michel Debout estimait en outre que le nombre de suicides liés au chômage s’élevait alors à 700 depuis le début de la crise. Or, depuis 2012, un million de personnes de plus sont au chômage.

Le traumatisme de la perte d’emploi

Dans son analyse, il revient sur un moment ignoré mais crucial, celui de l’annonce de la perte de son emploi. Un moment qualifié « au sens plein du terme d’événement traumatique ». Selon lui, si la perte d’emploi était effectivement considérée comme tel, « il en résulterait que le fait de licencier une personne ou de la priver de son emploi constituerait un risque psychosocial dont la responsabilité reviendrait à l’instance qui est à l’origine de la fin du travail ». Un risque que le patronat ne paraît pas disposé à assumer.

Michel Debout analyse ensuite la perte d’estime de soi qui résulte fréquemment de cette situation, les médicaments ou psychotropes consommés dans ce cadre ainsi que leurs fréquentes conséquences sur la santé du chômeur comme sur son environnement social et familial. Selon lui, médecine du travail, médecin traitant ou centre de santé peuvent prendre en charge le suivi et l’accompagnement d’un salarié au chômage. C’est à ce dernier de choisir ce qu’il préfère mais dans un parcours obligatoire, comme c’est le cas pour les salariés en emploi. L’organisation de ce dispositif médical créerait un nouveau lien entre la société et le chômeur, ce lien social qui est « une des meilleures réponses à l’état de stress post-traumatique » que beaucoup connaissent. -

L’auteur
Michel Debout est psychiatre et professeur émérite de médecine légale et droit de la santé au CHU de Saint-Étienne. Il a notamment publié Le suicide, un tabou français en 2012, ainsi qu’une bande dessinée Tout doit disparaître. Travail et souffrances psychologiques, en 2009. Avec Jean-Claude Delgènes et le cabinet Technologia, ils ont initié, dès mai 2011, l’ « Appel des 44 », visant à la création d’un Observatoire des suicides et signé par plus de 4 000 professionnels de santé, décideurs et personnalités issues de l’humanitaire, du médical ou du terrain social.

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante