Semperit : un combat chargé de fierté et d’amertume avant délocalisation

Emploi et Salaires par Valérie Forgeront

Karim et Mohammed devant l’usine de Semperit à Argenteuil (95). Photo : V. Forgeront.

Ils se sont battus pendant près de quatre mois pour leurs emplois et contre la délocalisation en Pologne de leur usine qui fabrique des tapis roulants en caoutchouc pour l’industrie. Par des mobilisations diverses, une occupation du site et une action en justice, les 64 salariés de Semperit à Argenteuil (Val-d’Oise) soutenus par deux syndicats dont FO ont contraint la direction à améliorer les modalités du plan de sauvegarde des emplois (PSE) lequel est soumis ce 13 octobre à l’avis du comité d’établissement. A la mi-novembre, l’usine fermera ses portes. Retour sur le dur combat des salariés.

C’était le 30 juin, veille de week-end, veille de vacances d’été pour certains salariés… L’annonce de la fin des activités du site Semperit basé à Argenteuil (Val-d’Oise) et de sa délocalisation en Pologne a eu l’effet d’un coup de massue. Depuis, soutenus par deux syndicats dont la section Force Ouvrière, les salariés se battent pour contrer les plans de la direction.

Non contente de programmer la fermeture définitive de l’usine elle entendait imposer aux 64 salariés un plan social aux conditions des plus minimalistes. Les salariés se sont mobilisés, sont allés devant la justice et ont multiplié depuis près de quatre mois les actions de protestation. Ils ont imposé à la direction de revoir à la hausse les modalités du PSE (Plan de sauvegarde des emplois).

Au fil des années, la perte des effectifs

Le site Semperit d’Argenteuil était exploité dans les années 1960 par le groupe Kléber puis par Michelin. Dans cette usine située à deux pas des rives de la Seine on travaille le caoutchouc pour l’industrie depuis des dizaines d’années. Quand le groupe autrichien indépendant Semperit –qui a l’origine fabriquait des pneus– a acheté le site dans les années 1990, l’activité a continué dans le même domaine du secteur chimique : la fabrication de tapis roulants géants pour le transport de marchandises dans l’industrie (pour les mines, les ports…).

Le groupe Semperit compte quatre axes de production, Semper-flex qui fabrique des flexibles, Semper-med qui conçoit des gants médicaux, Semper-trans dont dépend l’usine d’Argenteuil et Semper-form qui fabrique des rampes de tapis roulants.

Dans les années 60 se souvient Mohammed, 55 ans, salarié de Semperit et militant FO, le site exploité par les précédents groupes comptait 700 salariés. Il y a seize ans l’usine Semperit employait encore quelque deux-cents salariés. Aujourd’hui ne restent que 64 salariés en CDI et près d’une trentaine de personnes en tant que prestataires (maintenance mécanique, nettoyage vigiles…).

Des dividendes confortables pour les actionnaires

Cette usine qui fabrique des bandes transporteuses est cependant la seule en France sur ce créneau indique Karim Laldji, 33 ans, travaillant depuis onze ans sur le site. Lui et deux autres collègues non syndiqués ont monté une section Force Ouvrière en mars dernier. Ils pensaient préparer à leur rythme les prochaines élections professionnelles... On a découvert dans le même temps le travail syndical et ce plan social qui nous tombait dessus se souvient Karim avec émotion.

Le groupe bat-il de l’aile ? Pas du tout. Il a enregistré une hausse de 5% de son chiffre d’affaires au 1er semestre 2017 indique le rapport d’expertise comptable demandé par les salariés dans le cadre du projet de fermeture de l’usine. L’indice Ebitda (indice d’évaluation du bénéfice d’une entreprise avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) du groupe atteint 97,3 millions d’euros, en hausse de 84,3% en un an. Si le groupe, côté en bourse, est endetté il a la confiance de ses créanciers et par ailleurs ses fonds propres représentent près de 32% du total de son bilan. Semperit a distribué par ailleurs de confortables dividendes à ses actionnaires. 14,4 millions en 2017, 24,7 millions en 2016, 123,4 en 2015.

Semperit délocalise déjà en Chine, Inde et Pologne

Malgré ces bons résultats, le groupe a décidé de supprimer l’usine d’Argenteuil. Le site était semble-t-il sur la sellette depuis de nombreuses années. Depuis les années 2000, Semperit monte des sites à l’étranger. En Pologne, en Inde et en Chine. À eux trois, ces sites comptent au moins 500 salariés indiquent les militants FO.

Parallèlement, sur le site d’Argenteuil, la direction depuis les années 2000 ne remplace plus les départs en retraite. L’équipe de nuit du site a par ailleurs été supprimée en 2012. Une partie de notre activité de production a été délocalisée en Pologne en 2013… Quand de 2012 à 2016 le groupe a investi 118 000 euros par an pour le site d’Argenteuil, il a investi 8,9 millions d’euros par an pour le site de Pologne.

La Direction assurait toutefois ces dernières années aux salariés d’Argenteuil que le site ne fermerait pas puisqu’il était la « locomotive » du groupe. La Direction ajoutait toutefois que la main d’œuvre française lui coûtait cher, tout comme les matières premières se remémorent Karim et Mohammed.

Le rejet d’un premier PSE

Alors que les salaires sur le site varient de 1 600 euros nets à 2 700 euros, la direction soufflait que le coût d’un salarié français équivaut au coût de quatre salariés polonais indiquent encore les militants. Un autre signe était annonciateur d’une mise sur la sellette du site d’Argenteuil indiquent Mohammed et Karim. Depuis les années 1995 il y a eu des problèmes de sécurité dans l’usine. La Direction a d’ailleurs fait l’objet de condamnations. Les machines n’ont pas fait l’objet de mises aux normes. Plusieurs accidents ont eu lieu ces dernières années. Par ailleurs indiquent-ils en près d’un an, trois directeurs se sont succédé à la tête de l’usine. Le dernier est arrivé au printemps.

Le 30 juin l’annonce de la liquidation du site et la présentation d’un plan social (PSE) ont lieu lors d’un comité d’établissement. Semperit Argenteuil a donc effectivement l’intention de délocaliser en Pologne découvrent abasourdis les soixante-quatre salariés et la petite trentaine de prestataires. Cerise sur le gâteau… La direction voulait fermer l’usine dès le mois d’août s’indigne Karim. Ce projet est contrarié.

Les syndicats contestent en effet le PSE et soulignent l’absence en amont de l’annonce d’une information concernant les orientations stratégiques de l’entreprise. On a ainsi réussi à repousser le lancement du PSE se félicite Mohammed. La direction régionale du Travail et de l’Emploi (Direccte) de son côté ne valide pas ce PSE. Les salariés par ailleurs contestent ce plan devant la Justice. L’affaire passe en jugement le 2 août devant le tribunal de grande instance de Pontoise.

Une mobilisation quotidienne des salariés

Le 30 août, le TGI rend son verdict : le PSE est jugé non conforme. Le tribunal demande à Semperit une révision immédiate des livres I et II du PSE sous peine d’être condamnée au paiement d’une astreinte de 150 euros par jour de retard indiquent Karim et Mohammed… La Direction de Semperit planche sur une nouvelle mouture de PSE. Cela ne se réalise dans l’allégresse. Les salariés ont dû montrer toute leur détermination à défendre leurs droits.

Ils ont dû mettre en place une grève du zèle dès le 30 juin en ralentissant les cadences de production puis ils ont organisé de multiples manifestations afin de signifier leur refus du PSE tel qu’il était initialement. Ils ont dû organiser aussi devant l’usine des rassemblements hebdomadaires intitulés les jeudis de la colère… Ils ont dû décider d’occuper l’usine à partir du 28 septembre, ils ont dû décider de stopper la production pendant une semaine… Ils ont dû encore demander –et avec succès– à rencontrer « enfin » la direction autrichienne de Semperit.

Toute cette détermination exercée notamment par la jeune section FO a contraint la Direction à améliorer son plan de manière conséquente. Ce PSE a été présenté le 5 octobre.

La direction contrainte à améliorer le PSE

La Direction prévoyait ainsi des primes supra légales d’un montant de 5 000 euros. Elle a dû toutefois réviser ce montant à la hausse. Les salariés ont obtenu des primes variant (selon l’ancienneté) de 20 000 euros à 50 000 euros. Concernant la prime pour « création d’entreprise », Semperit prévoyait un montant de 8 000 euros... Le montant de cette prime a été relevé, à 12 500 euros se réjouit Karim. Pour la prime portant sur la « formation d’adaptation » les salariés ont obtenu 8 000 euros contre les 5 000 euros initialement prévus indique Mohammed précisant que la moyenne d’âge des salariés du site est de 45 ans. L’ancienneté moyenne des salariés dans l’usine est autour de quinze ans.

L’indemnité de formation pour une reconversion d’un montant initial de 8 000 euros est portée à 13 000 euros selon la nouvelle version du PSE. Concernant les modalités d’accompagnement des salariés par un cabinet de reclassement (congé de reclassement), la direction prévoyait pour les salariés âgés de plus de 50 ans une durée d’accompagnement de 12 mois avec un salaire de 65% du salaire initial. Pour les moins de 50 ans, elle envisageait un accompagnement de neuf mois seulement explique Karim.

Par leur détermination les salariés ont obtenu que ce temps d’accompagnement soit porté pour tous à douze mois et cela assorti d’un salaire à hauteur de 80% du salaire initial. Nous avons par ailleurs obtenu le paiement des jours de grève se félicite Mohammed. Cette dernière version du PSE a recueilli une approbation unanime des salariés te. Ce 13 octobre, le comité d’établissement devra donner son avis sur le PSE, lequel devrait être signé bientôt. Nous savons que l’activité du site cessera mi-novembre. Malgré ce que nous avons pu obtenir à travers ce PSE et grâce à une mobilisation quotidienne depuis le 30 juin, la fermeture de l’usine laisse un grand sentiment d’amertume soulignent Karim et Mohammed.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante