L’AFL-CIO démonte le mythe du sauveur suprême

interview par Evelyne Salamero

Cathy Feingold, responsable du secteur international de la centrale syndicale américaine AFL-CIO, livre ici quelques éléments de la situation à laquelle sont confrontés les salariés aux États-Unis.

Donald Trump se présente comme le sauveur des travailleurs américains. Qu’en pensez-vous ?

Cathy Feingold : Les accords de libre-échange ont sérieusement sapé la production américaine, dont l’automobile. Les travailleurs en ont donc tout naturellement assez que rien ne change, ce qui a permis à M.Trump de s’appuyer sur leur souffrance, bien réelle. Le développement de notre secteur industriel et la création d’emplois de qualité est un objectif des syndicats américains. Nous soutiendrons les stratégies en faveur d’une industrie forte et du travail décent. Mais à ce jour, il apparait que la rhétorique et la stratégie de M.Trump pour garder les emplois aux États-Unis reposent sur l’intimidation publique et la casse des syndicats, le maintien des bas salaires, la déréglementation et la diminution des impôts pour les riches. Si la nouvelle administration ne soutient pas de fortes protections pour les travailleurs et un fort investissement dans l’industrie, cela sapera les fondements de la démocratie américaine.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets de contradictions de la part de Donald Trump ?

Cathy Feingold : Le milliardaire explique qu’il comprend les problèmes des travailleurs. Mais ceux qui ont travaillé dans les entreprises de Trump ces dernières décennies racontent une autre histoire. Il a régulièrement trompé les salariés, en se déclarant en faillite pour ne pas avoir à payer leurs salaires. Il a combattu les syndicats dans ses hôtels et ses casinos et n’a cessé de répéter que nos salaires étaient trop élevés. Durant sa courte carrière politique, il s’est mis à attaquer des gens qui font simplement leur métier, comme des journalistes, ainsi que des dirigeants syndicaux qui dénoncent ses déclarations mensongères. On a pu voir récemment un exemple évident de cette tendance, quand le Président élu Trump a attaqué via twitter le président du syndicat de la métallurgie USW Local 1999, Chuck Jones, parce que ce dernier avait réfuté les déclarations de Trump sur le nombre d’emplois que l’Entreprise Carrier allait soit disant maintenir aux États-Unis. En réalité, il s’agissait pour Trump, pour apparaitre comme l’unique sauveur, de faire pression sur Carrier, en écartant les syndicats, et il a donc considérablement exagéré auprès des média le nombre d’emplois sauvés.

Est-il exact que le nouveau Président veut déréglementer le marché du travail et diminuer les impôts des entreprises ?

Cathy Feingold : Dans l’immédiat, on ne sait pas encore exactement quelle sera la politique économique de M.Trump, mais avec le contrôle des deux chambres législatives par les Républicains, il est probable que le gouvernement fédéral fera avancer les propositions qui bénéficieront au 1% de la population la plus aisée. Il y a longtemps que les Républicains veulent réduire les impôts des entreprises et le financement de Medicare et Medicaid (les programmes d’aide sociale pour la vieillesse et la santé, ndlr). Ils visent de surcroît la « loi sur la protection des Patients et les soins abordables » (Obamacare), ce qui pourrait priver des millions d’Américains de couverture santé.

Que pensez-vous de sa position sur le commerce international ?

Cathy Feingold : Bien avant que M.Trump ne vise la présidence, le mouvement syndical avait compris ce que notre politique commerciale entraîne pour les travailleurs. Nos stratégies commerciales néo libérales ont été un échec, et nos syndicats se sont opposés aux législateurs républicains mais aussi à de nombreux démocrates. M.Trump dit qu’il veut se battre pour des accords commerciaux qui placent les travailleurs au premier rang. Le président de l’AFL-CIO Richard Trumka, a déclaré : s’il est disposé à travailler avec nous, en cohérence avec nos valeurs, nous sommes prêts à travailler avec lui. Nous avons élaboré un projet de renégociation du NAFTA -une des promesses de campagne de M.Trump- qui donnerait la priorité aux droits du travail et aux investissements pour de bons emplois.

Que pensez-vous des différents ministres nommés ?

Cathy Feingold : globalement, les nominations démontrent que le Président-élu Donald Trump ne représente pas les valeurs et les enjeux que les électeurs de la classe ouvrière jugent importants.
Son candidat au ministère de l’Économie et des Finances, Steven Mnuchin, est un milliardaire qui s’est enrichi en expulsant de leurs maisons des familles de travailleurs. Tom Price, veut privatiser Medicare et supprimer la couverture de soins pour des millions d’Américains. Le Sénateur Jeff Sessions, pressenti pour être ministre de la Justice, est coutumier des propos racistes et a à son actif un record de violations des libertés civiques, y compris le droit de vote. Quant à la nomination du P-DG de la restauration rapide Andy Puzder pour le ministère du Travail, cela revient à prétendre qu’il fera respecter des lois, que ses propres entreprises violent régulièrement : c’est une insulte aux travailleurs.

Comment faire face à la politique de Donald Trump vis-à-vis de la population la plus vulnérable ?

Cathy Feingold : M.Trump a fait campagne sur les expulsions massives, l’édification de murs, le fichage obligatoire de tous les musulmans et la répression des communautés de couleur. Ces propositions sont une violation de nos principes fondateurs et de notre humanité. Sa rhétorique a inspiré des menaces réelles et sérieuses ainsi que des agressions physiques, commises par des partisans trop zélés, mais il reste silencieux et encourage ce type de comportements. L’AFL-CIO s’est déjà fortement opposée à l’application par l’administration Obama d’une politique d’immigration sévère. M.Trump menace de faire pire, de multiplier et d’accélérer les expulsions, d’envoyer des policiers armés dans nos quartiers et sur nos lieux de travail, d’arrêter les membres de nos syndicats et de nos communautés. Au lieu de construire des murs, les travailleurs doivent construire un mouvement basé sur la solidarité, le partage de la prospérité et le rejet de ce type de rhétorique.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante