Pauvreté : neuf millions de personnes peinent à joindre les deux bouts

Société par Valérie Forgeront

De la dernière étude de l’Insee sur les niveaux de vie en France en 2015 au baromètre Ipsos/Secours populaire pour 2017 un constat se dégage : la pauvreté reste très présente en France. L’Insee indique ainsi que le taux de pauvreté atteignait 14,2% de la population en 2015, en progression de 0,2% par rapport en 2014. Concrètement ce taux signifie qu’il y avait 8,9 millions de personnes pauvres en France en 2015. Le baromètre 2017 du Secours populaire enfonce le clou. « La pauvreté prend racine ».

Les personnes en situation de pauvreté vivent sous le seuil de pauvreté soit avec moins de 1015 euros/mois. La moitié d’entre elles disposent de moins de 815 euros/mois pour vivre. L’Insee indique encore que 37,6% des chômeurs sont pauvres, 6,5% des salariés le sont aussi et 7% des retraités. Plus largement souligne l’Institut de la statistique, le niveau de vie médian des Français demeure en dessous de ce qu’il était avant la crise financière de 2008.

De son côté le Secours populaire à travers la publication ce 14 septembre de son 11e baromètre (conjoint avec l’Ipsos) consacré plus spécialement à la pauvreté et à son évolution en France parvient à un constat tout aussi inquiétant. La pauvreté prend racine en France. Il y a près de neuf millions de pauvres, soit 1,2 million de plus qu’il y a dix ans.

Plus d’un tiers des Français (37%) ont ainsi déjà fait l’expérience de la pauvreté et cette précarisation ne cesse d’augmenter depuis dix ans. Les ouvriers et employés sont particulièrement explosés à ce risque. Ainsi 47% des catégories socioprofessionnelles modestes, soit près d’une de ces personnes sur deux, sont exposées à la pauvreté et plus largement 61% des personnes percevant un revenu mensuel net inférieur à 1 200 euros.

Pour 72% des personnes interrogées dans le cadre de ce 11e baromètre, si une personne seule perçoit en France un revenu net par mois autour de 1 000 euros elle peut être considérée comme pauvre. Plus largement, 57% des personnes interrogées disent avoir eu peur de tomber dans la précarité à un moment donné de leur vie. Par ailleurs, chez les sexagénaires, 55% de personnes estiment qu’aujourd’hui les risques de tomber dans la pauvreté sont beaucoup plus élevés pour leurs enfants que pour leur génération.

Ce sentiment est source d’inquiétude pour les « séniors ». Seuls 44% des sexagénaires se disent confiants dans leur capacité financière à aider leurs enfants en cas de besoin.

La situation s’est dégradée

Plus largement près d’un Français sur cinq ne parvient pas à équilibrer son budget à la fin du mois, 36% des Français déclarent que leurs revenus leur permettent juste de boucler leur budget et 19% vivent à découvert. La situation s’est particulièrement dégradée pour les travailleurs précaires, les personnes en fin de droits, les jeunes, les personnes âgées ou encore celles déboutées du droit d’asile.

Le Secours populaire rappelle des constats inquiétants affichés aussi par le Rapport de 2017 sur les inégalités publié en juin dernier. La lente diminution du niveau de vie des 10% les moins favorisés constitue un retournement historique de notre histoire sociale soulignait ce rapport.

De son côté l’association souligne que le seuil de pauvreté subjectif —seuil à partir duquel une personne considère être dans la pauvreté— n’a cessé d’augmenter ces dernière années. Signe que les difficultés financières s’intensifient, ce seuil s’établit désormais à 1 113 euros soit seulement de 36 euros en dessous du montant net du Smic mensuel. Cette perception d’un seuil de pauvreté était inférieure de 45 euros en 2016.

Difficile de faire trois repas par jour

Si des statistiques montrent certes des prémices d’une reprise molle de la croissance relève le Secours populaire, il insiste lui sur une autre réalité : l’aggravation de la pauvreté et à travers tout l’Hexagone. L’association ne constate ainsi aucun signe notable d’amélioration du quotidien des plus démunis. Bien au contraire.

Les demandes d’aides enregistrées par le Secours populaire ont ainsi augmenté de 15% à 50% selon les départements. Les dépenses contraintes (loyer, alimentation, facture d’énergie…) pèsent en effet de plus en plus lourd sur les budgets des familles. En découle des conduites de restrictions, voire de privations. Les plus pauvres manquent de tout constate l’association.

Ainsi 44% des ménages modestes percevant moins de 1 200 euros/mois disent avoir des difficultés à se procurer une alimentation saine permettant de faire trois repas par jour. Autant dire que les dépenses pour les loisirs sont de plus en plus difficiles à assumer pour les ménages modestes. 45% des personnes interrogées pour ce baromètre déclarent avoir beaucoup de difficultés financières pour partir au moins une fois par an en vacances. Cette proportion passe à 65% pour les personnes percevant moins de 1 200 euros et à 57% pour les personnes percevant entre 1 200 et 2 000 euros/mois.

Renoncement aux soins

Qu’en est-il des activités culturelles et de loisirs ? 43% (en hausse de 2% par rapport à 2016) déclarent avoir des difficultés à y accéder. Le taux monte à 66% chez les personnes percevant moins de 1 200 euros.

Les difficultés d’accès à certains actes de santé mal remboursés par la Sécurité sociale ou encore les difficultés à payer son loyer ou ses impôts se sont aggravées. 39% des personnes interrogées (3% de plus que l’an dernier) disent avoir beaucoup de mal à assurer certaines dépenses de santé. Une personne sur deux parmi la population percevant moins de 1 200 euros dit connaître de telles difficultés. La proportion grimpe à 55% pour les personnes percevant entre 1 200 et 2 000 euros.

Dix ans après le premier observatoire du Secours populaire, les visages de la pauvreté se sont multipliés, les renoncements aux soins persistent. Par ailleurs près de la moitié des personnes (45%) percevant moins de 1 200 euros rencontrent des difficultés financières pour se doter d’une mutuelle de santé. C’est le cas aussi pour plus d’un tiers (37%) des personnes percevant entre 1 200 et 2 000 euros.

Conséquences de ces difficultés ? Près d’un tiers des Français (28%) a déjà dû renoncer à une consultation chez un spécialiste. Ce renoncement concerne 4% de français de plus qu’en 2008. 37% des Français (31% en 2008) ont dû renoncer à l’achat de prothèses dentaires. 29% (même proportion qu’en 2008) ont renoncé à l’achat de lunettes ou de lentilles de contact. 15% ont renoncé à l’achat de médicaments, 14% à réaliser des radios ou des analyses médicales, 10% à consulter un médecin généraliste.

La crainte des dépenses imprévues

34% des personnes (en hausse de 2% par rapport à 2016) interrogées déclarent avoir des difficultés à assurer financièrement leur loyer, charges ou emprunt immobilier. Là encore, la proportion varie considérablement selon le niveau des revenus. Plus de la moitié (51%) des personnes percevant moins de 1 200 euros connaissent en effet des difficultés.

Les dépenses d’énergie (électricité, chauffage…) pèsent lourd elles aussi. Ainsi 61% des personnes percevant moins de 1 200 euros/mois ont des problèmes pour s’acquitter de leurs factures. C’est le cas aussi pour 45% des personnes percevant entre 1 200 et 2 000 euros/mois.

Face à ces difficultés à devoir déjà assurer des dépenses contraintes, les Français nourrissent de l’inquiétude quant à leur capacité de devoir, en plus, assumer des dépenses importantes imprévues (panne de chaudière, véhicule accidenté…). Pour 57% d’entre eux cela est source d’inquiétude. Parmi ces personnes, 20% se disent très inquiets.

Cette peur du lendemain s’exprime aussi en ce qui concerne la capacité à faire face à la dépendance d’un proche. Ils sont ainsi 58% à s’en inquiéter dont 17% qui se disent très inquiets.

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

Sur le même sujet