« Tous rentiers ! », le livre qui tombe à pic

Parution par David Rousset

Philippe Askenazy. © F. Blanc/FO Hebdo

Récemment sorti en librairie, le dernier ouvrage de l’économiste Philippe Askenazy colle à l’actualité. Il éclaire en effet les débats autour de la place du travail dans la société et de la prétendue disparition progressive du salariat.

Par un curieux hasard de calendrier, le dernier opuscule de Philippe Askenazy, directeur de recherche au CNRS, professeur à l’École normale supérieure et l’un des animateurs du collectif des Économistes atterrés, surgit au moment où des milliers de personnes battent le pavé contre la loi El Khomri.

En premier lieu, l’auteur se démarque d’un certain discours qui vise à se focaliser sur les super-riches – le fameux 1 % –, déplaçant ainsi « la contestation du capitalisme vers les riches et leur apparent égoïsme ». Philippe Askenazy préfère en effet analyser les causes plutôt que les conséquences : la répartition des richesses avant que l’impôt et les politiques publiques ne viennent jouer leur rôle n’a rien de naturel. Elle est au contraire le produit de véritables rentes, c’est-à-dire de mécanismes par lesquels des sociétés commerciales, des États, voire des individus ont accaparé des avantages jusqu’à se retrouver dans une situation de quasi-monopole qui leur permet d’influer sur les décisions politiques.

Le propriétarisme, c’est le vol ?

C’est naturellement au sein du capital que se trouvent les principales situations de rente. Celles-ci peuvent être anciennes, à l’instar de la rente foncière, ou plus récentes comme celles qui découlent des brevets, voire celles qui sont en train de se constituer autour de l’exploitation de milliards de données personnelles, dont Facebook, Google ou Apple ont parfaitement saisi la valeur. Cette captation s’opère au moment où l’idéologie du « tous propriétaires », que l’auteur appelle le « propriétarisme », s’est imposée dans les têtes. L’accession à la propriété immobilière est ainsi devenue l’accessible quête du Graal des temps modernes même si elle est, pour les plus modestes, souvent synonyme de surendettement et d’épée de Damoclès.

Si une toute petite quantité de travailleurs peuvent profiter de ce nouveau capitalisme de rentiers – quelques sportifs de haut niveau, pharmaciens ou avocats fiscalistes –, les ouvriers et les employés voient leur rémunération stagner, leurs conditions de travail se dégrader alors que leur productivité augmente. Pire, les emplois qu’ils occupent sont jugés « non qualifiés », alors que les compétences demandées ne cessent d’augmenter, tout comme leur niveau de qualification.

Enfin, Philippe Askenazy, après avoir démontré, chiffres à l’appui, que le travail est plus menacé de fragmentation que de disparition, s’attarde sur la nécessaire revalorisation du travail et trace quelques pistes qui, à défaut de toutes faire l’unanimité, susciteront débats et réflexions. 


Extrait : Quand la protection des salariés devient une rigidité…

« Dans l’espoir de gagner en crédibilité et paraître moderne, [la social-démocratie] succombe à nouveau au pragmatisme […]. Elle accepte une course au désarmement du travail. Elle cède même sur le champ sémantique : la protection des salariés devient une rigidité et les cotisations sociales sont qualifiées de charges. Ces reculs aggravent d’autant plus son incapacité à peser sur l’ordre social. » (p. 213)
Tous rentiers ! Philippe Askenazy, éditions Odile Jacob, 22,90 euros.