Une République fragilisée, une Education nationale atomisée

Economie par Pascal Pavageau, Secteur Économique

By Cédric Lafont (Own work) [GFDL or CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons

Vous trouverez dans ce numéro 115 d’InFOéco, daté du 9 février 2016, une analyse du Secteur Economique sur l’Éducation nationale de la République française.

L’Ecole de la République garantit à chacun, à chaque élève, un parcours identique sur l’ensemble du territoire national. Elle assure aussi la délivrance de diplômes nationaux, reconnus dans le cadre des conventions collectives, des statuts particuliers et des concours. Elle a par ailleurs vocation, dans la République une et indivisible, à être l’outil majeur, pour chaque individu, de promotion et d’une émancipation sociale par la transmission de l’instruction et le respect des valeurs communes : liberté, égalité, fraternité et laïcité.

Pourtant, alors que le fondement de notre égalité républicaine s’est constitué avec succès sur son Ecole, l’Education nationale est, depuis plus de 30 ans, en butte aux politiques d’austérité et de décentralisation. Dès 1985, des directives très claires ont été données afin de ralentir « le taux de croissance des dépenses », avec des effets concrets : augmentation de la taille des classes afin d’y intégrer toujours plus d’élèves, diminution du nombre de sections et ce faisant moins de possibilités de formation aux élèves. En parallèle, toutes les mesures prises concernant

les statuts des personnels ont vu le jour dans le but unique de diminuer leurs garanties et baisser le « coût de la masse salariale ». Enfin, l’organisation même de l’Education nationale a été fortement revue, mettant en place les Etablissements Publics Locaux d’Enseignement (EPLE) dont l’autonomie n’avait pour objectif que de remettre en question l’unité de la politique nationale de l’Education.

Territorialisation, rigueur budgétaire, remise en cause de l’appareil de formation, tel est le tryptique dévastateur sur lequel se base l’ensemble des réformes de l’Education nationale ces dernières décennies. La principale des conséquences est un changement profond de la nature même de ce que se veut être l’Ecole républicaine : se dessinent peu à peu les contours d’une Ecole territorialisée, avec des moyens disparates, un personnel tant fragilisé que dévalorisé, risquant d’avoir pour finalité la délivrance de diplômes locaux, répondant à une logique d’employabilité patronale de courte vue sur un bassin d’emplois précis.

L’Ecole, Symbole du désengagement de l’État

Les trois tendances principales qui sont responsables de la situation dégradée dans laquelle se trouve aujourd’hui l’Ecole de la République sont la décentralisation, la réforme territoriale et les mesures d’austérité imposées notamment au ministère de l’Education nationale.

Quand décentralisation rime avec désengagement

Au-delà du transfert d’une partie des personnels de l’Education nationale (Personnels Techniques et Ouvriers) vers les collectivités territoriales (régions pour les lycées et départements pour les collèges), la décentralisation a renforcé notamment depuis 2005, la mainmise de ces dernières sur les établissements. Ainsi, régions et départements ont désormais pour compétences la construction et l’entretien des locaux, l’accueil, la restauration et l’hébergement ainsi que l’attribution d’un budget de fonctionnement. C’est un véritable désengagement de l’État qui a été mis en œuvre depuis le premier acte de décentralisation de 1983. Outre ce transfert de compétences, les dernières réformes visant l’Education nationale accélèrent l’abandon par l’État de ses missions les plus fondamentales au détriment de l’égalité de droits pour les élèves et du cadre statutaire national et des conditions de travail pour les personnels : la réforme des rythmes scolaires 2013 permet une intrusion plus grande des municipalités dans le fonctionnement des écoles du premier degré non seulement pour les activités périscolaires mais également pour les missions d’enseignement ; la réforme du collège de 2015 aboutit à une remise en cause de l’enseignement disciplinaire, introduit des enseignements à la carte et réduit le nombre d’heures d’enseignement ; enfin, le Ministère entend bien étendre d’ici 2017 la logique de la refondation de l’école aux lycées.

Force Ouvrière s’est toujours positionné en opposition aux transferts de compétences de l’État vers les collectivités locales, car ceux-ci conduisent à une balkanisation de l’action publique et à un affaiblissement de la République par le développement des inégalités territoriales.

Une Education nationale toujours plus éclatée

L’objectif affiché par la réforme territoriale est clair : passer d’ « une République organisée en un État – 22 Régions – 101 Départements – 36 680 Communes de proximité » à « une Nation structurée en 13 grandes Régions de taille européenne – environ 7000 Communes d’au moins 15 000 habitants dont une douzaine de grandes métropoles ». Au final, la République est fragmentée, l’État réduit à sa plus simple expression, les Régions immenses forcées de se concurrencer, les Départements à terme supprimés et les Communes actuelles fusionnées. Cette évolution s’effectue en accroissant la décentralisation par le transfert des missions de l’État aux grandes Régions, qui se retrouvent autonomes, omnipotentes et génératrices de droit local. C’est notamment le cas pour l’ensemble des missions de l’Education nationale qui se retrouveront éclatée en 13 politiques éducatives régionales différentes. La politique de promotion des langues dites « régionales » [1] s’inscrit dans ce contexte d’émiettement de la République et de son école.

Force Ouvrière a combattu fermement la réforme territoriale initiée en 2010. A travers trois lois principales [2], celle-ci remet en cause l’indivisibilité, la cohérence, la lisibilité, l’unicité et, du coup, l’égalité républicaine, c’est-à-dire l’égalité de droit.

Même à l’Education on impose l’austérité

Au motif fallacieux de devoir réduire les dépenses publiques, le budget de l’État se retrouve amputé chaque année depuis plus de dix ans de plusieurs milliards d’euros. L’Education nationale, de par l’ampleur de ses missions et de ses effectifs est, avec le ministère de la Défense, le plus affecté par cette contrainte idéologique réduisant de facto l’intervention de l’État et les missions publiques. Cette cure d’austérité se traduit notamment au niveau de l’Education nationale par le fait qu’en dix ans, le nombre d’enseignants a baissé de 4,2 % alors que, dans la même période, le nombre d’élèves a augmenté de 2,1 %. Cette baisse annuelle des moyens d’actions s’ajoute aux transferts de compétences évoqués précédemment.

Les conséquences dévastatrices d’une Education territoriale inégalitaire

Toujours moins de classes pour toujours plus d’élèves

Concrètement, la réforme territoriale amplifie le processus enclenché depuis dix ans ayant conduit à la suppression de plus de 16 % des classes et 5 % des écoles. La territorialisation de l’Ecole a déjà pour conséquence une refonte de la carte des établissements entraînant la fermeture de nombre d’écoles, collèges et lycées. L’exemple de la mise en place de conventions du type de celle signée dans le Cantal donne aux maires ou aux intercommunalités la gestion des postes et la mise en œuvre d’évolutions pédagogiques en échange de regroupement d’écoles. Cela illustre en tout point comment toute la politique ministérielle, avec un dogme de rigueur budgétaire et un transfert des responsabilités de l’État vers les collectivités locales, accentue la désertification des zones rurales et force les regroupements d’écoles en en fermant d’autres. Ces fermetures par dizaines entraînent des déplacements longs et coûteux pour les élèves et leurs familles et aggravent les inégalités territoriales en matière d’accès aux services publics.

Les conditions d’enseignement continuent donc à se dégrader : des classes toujours plus chargées [3], des obligations extra-éducatives et administratives qui se multiplient pour les enseignants, toujours moins de moyens... En parallèle, la mise en place d’une Education territorialisée remet en question le principe même d’égalité pour tous d’accéder au même enseignement, aux mêmes programmes, à la même qualité d’enseignement, mais aussi l’accès à une qualification ou à un diplôme reconnu nationalement. Par exemple, des économies sur le long terme sont réalisées sur le dos des élèves les plus jeunes et les plus défavorisés : en Seine Saint Denis par exemple, seuls 0,8% des enfants de moins de 3 ans sont scolarisés.

L’entrisme et l’ingérence des collectivités territoriales, que ce soit au niveau du premier degré (écoles maternelles et élémentaires) ou du second degré (collèges et lycées), les compétences qui leur sont données, accroît peu à peu les disparités entre les élèves, selon qu’ils ont la chance ou non d’être dans une collectivité ayant des moyens budgétaires et/ou ayant la volonté politique de faire de l’Education une priorité.

Pour Force Ouvrière, améliorer les conditions d’enseignement dans le respect de l’égalité de droits est une priorité, tant pour les élèves que les enseignants. Cela impose l’arrêt de l’austérité budgétaire. De même, pour FO, défendre la proximité des services publics et particulièrement de l’Ecole de la République, c’est garantir la cohésion sociale partout et notamment là où elle est si difficile à maintenir, c’est réduire les inégalités qui explosent et c’est tout simplement défendre notre modèle républicain.

Des établissements libres de se gérer comme des entreprises

La nouvelle organisation académique pour 2016 se place dans la continuité des décisions passées et aboutit à la mise en place d’un nouvel échelon organisationnel, mais surtout décisionnel : le recteur de région académique. Doté de compétences propres et se positionnant comme le seul interlocuteur des collectivités locales, il met en place un nouveau schéma structurel faisant de la région l’unique échelon stratégique.

Dans ce cadre, la contractualisation entre le recteur de région, l’établissement et la collectivité est le maître-mot et le fer de lance de cette nouvelle organisation. La prédominance des caractéristiques locales transforme peu à peu tout le système en des éducations territoriales différentes déclinées dans chaque établissement et école.

Cette contractualisation locale constitue un nouveau désengagement du cadre national de l’État, l’affirmation de l’autonomie des établissements et une individualisation renforcée des carrières.

Le pilotage par le recteur de région académique se rapproche de celui des Agences Régionales de Santé (ARS). Ainsi, il est déjà évoqué la possible mise en place d’Agences Régionales de l’Education avec à leur tête des recteurs de région. Ces derniers, en lien avec les régions, auraient vocation à piloter ces ARE selon « des objectifs quantifiés avec une obligation de résultats financiers » qui s’imposeraient alors aux écoles, collèges et lycées.

La Réforme du Cadre Comptable et Budgétaire des Etablissements Publics Locaux d’Enseignement est un des outils de cette politique. Elle introduit les mêmes outils mis en place par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités de 2007 qui a percuté les universités en visant à rentabiliser les filières. Cette réforme intègre la notion d’autofinancement des établissements et la possibilité de faire appel à des fonds privés. Le recteur de région académique déclinera sur son « territoire » le contrat d’objectifs budgétaires qui lui aura été assigné par le ministère et la région, l’imposera à chaque structure (recteur d’académie, établissement, école, service).

Pour Force Ouvrière, de même que les ARS ont conduit à gérer les hôpitaux comme des entreprises, les ARE en feront de même pour l’Ecole publique, avec les conséquences que cela aura sur les missions et les personnels.

Enfin, les conséquences des réformes imposées du système scolaire sur la formation professionnelle sont connues et la destruction organisée de l’AFPA en est une illustration concrète. En effet, la régionalisation de la formation professionnelle, de l’aveu même du chef de l’État, « s’inscrit pleinement dans le pacte de responsabilité » proposé aux entreprises, et remet en question la formation professionnelle publique au profit tant de l’apprentissage que de la formation professionnelle privée.

A titre d’exemple, les campus des métiers constituent une des premières applications concrètes de la nouvelle gouvernance régionale appliquée à l’Education nationale. La Région Ile-de-France, les rectorats de Créteil et Versailles et plusieurs entreprises ont décidé la création de deux campus « Economie touristique Paris-Val d’Europe » et « Aéroportuaire et échanges internationaux Grand Roissy-Le Bourget ». Ces derniers ont vocation à devenir le guichet unique des formations sur tout le territoire régional en organisant un réseau public-privé de formation, principalement en alternance en entreprise et mixant tous les publics (scolaires, apprentis, décrocheurs, adultes en formation, chômeurs).

Cette privatisation de la formation professionnelle accélère le désengagement de l’État : rien qu’en Ile de France, entre 2011 et 2014, le budget régional d’investissement des lycées publics (construction-rénovation-réparation) a baissé de 33 %, et celui de fonctionnement des lycées publics a augmenté moins que l’inflation (+3%), face à un budget de fonctionnement des lycées privés bénéficiant d’une hausse de 55 % !

Cette logique publique/privée se traduit par un découpage des diplômes qualifiants en « blocs de compétences », via des modules conduisant à une individualisation des parcours. Ces formations à la carte ne mènent, dans la plupart des cas, à aucun diplôme, la validation de certaines compétences n’équivalant pas à la reconnaissance d’une qualification. De plus, en étant orientés en fonction des besoins immédiats du patronat partenaire, tous ces modules de formation enferment peu à peu les étudiants dans un « parcours de vie locale » selon des compétences reconnues uniquement sur le territoire concerné.

Pour Force Ouvrière, la territorialisation de l’Education accompagne la remise en cause des diplômes nationaux, ce qui conduit de fait à fragiliser les qualifications, les conventions collectives et les statuts particuliers de la fonction publique. La notion de « compétence », individuelle par nature, prend le pas sur celle de « qualification », tout comme le titre local vient remplacer le diplôme national. L’objectif est de repenser l’Ecole, de la refonder en en changeant la nature. Elle n’est plus uniquement le lieu de transmission du savoir, de l’instruction et de l’obtention de qualifications mais un moyen pour l’État de se décharger de ses responsabilités, en associant des acteurs extérieurs non garants de l’intérêt général. Petit à petit, moins de collectif plus d’individualisation des parcours, moins de services publics indépendants plus d’entreprises intéressées. Pour Force Ouvrière, le diplôme doit rester national et l’enseignement identique sur le territoire français. Ce n’est ni à un exécutif politique régional ni au Medef local de définir les contenus pédagogiques des formations et de produire des politiques éducatives.

Un personnel maltraité pour des conditions d’enseignement dégradées

En parallèle à toutes ces contre-réformes mais aussi afin de faciliter leur mise en œuvre, le statut général de la Fonction Publique ne cesse d’être attaqué, détricoté et les droits collectifs des fonctionnaires et des agents publics sont continuellement affaiblis voire alignés par le bas : individualisation des parcours, du temps de travail et de la rémunération, mobilités géographiques et fonctionnelles obligatoires sans compensations, remise en cause des droits, des obligations et des engagements des fonctionnaires.

L’excès de recherches d’économies budgétaires sur le dos des personnels, enseignants ou administratifs se traduit notamment par une perte de la vocation : les métiers d’éducation ne sont plus attractifs, et on comprend facilement pourquoi. Après 3 à 5 ans d’études supérieurs, un professeur perçoit aujourd’hui en début de carrière un traitement correspondant à 1,13 fois le Smic, alors qu’en 1983, il percevait 1,8 fois le Smic. Ainsi, entre 2012 et 2014, alors que les effectifs scolarisés se sont accrus, le nombre d’enseignants titulaires a baissé, à la fois du fait de la suppression de postes budgétaires mais aussi par l’existence désormais de postes ouverts et non pourvus faute de candidats !

Pour Force Ouvrière, le combat pour défendre le statut général de la Fonction Publique et les statuts particuliers est quotidien tant les attaques sont légion. A l’Education nationale, celles-ci conduisent à remettre en cause l’exercice d’une des missions prioritaires de la République, à savoir l’enseignement. Si le dévouement et l’engagement des fonctionnaires sont exemplaires, la réduction de leurs droits, l’individualisation de leur gestion, la baisse de leur pouvoir d’achat et la réduction du nombre de postes rendent presque impossible la réalisation de leurs actions et dégradent leurs conditions de travail comme celles des élèves.

L’ultime désengagement public : aux parents de payer

Pour les parents d’élèves, non seulement l’accès de proximité de l’Ecole pour leurs enfants n’est plus assuré mais souvent le seul moyen de suivre certains cursus est de financer la scolarisation de leur(s) enfant(s) dans un établissement éloigné, ce qui implique déplacements supplémentaires voire hébergement. De fait, l’État ne respecte plus son obligation républicaine d’assurer une scolarité égalitaire et gratuite sur l’ensemble du territoire national et seuls les parents qui en ont les moyens, pallient à ces défaillances. La réforme des rythmes scolaires entraînant la mise en place d’activités périscolaires dont certaines sont payantes, est une étape importante de ce processus, qui à nouveau individualise les chances des élèves.

Cette transformation radicale du rôle de l’Ecole a créé une hausse du nombre d’élèves dans les écoles privées sous contrat, qui elles n’ont pas été obligées de mettre en place les rythmes scolaires. L’enseignement privé apparaît désormais pour ceux qui le peuvent, comme une solution pour éviter les effets des rythmes scolaires mais aussi pour échapper à un établissement public dont la priorité n’est pas donnée à l’enseignement.

Pour Force Ouvrière, le principe de gratuité de l’Ecole est donc remis en cause, cela étant amplifié par les inégalités entre les familles qui ont les moyens de payer et celles qui ne les ont pas.

Pour tous les usagers, élèves ou parents d’élèves, mais aussi pour les personnels de l’Education nationale, l’ensemble des réformes remettent en cause le service public de proximité, et sont des attaques concrètes contre la cohésion sociale mais également contre les valeurs de l’Ecole républicaine et de ses principes mêmes de Liberté, d’Egalité, de Fraternité et de Laïcité.

Achevé de rédiger le 9 février 2016

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière

Secteur Économique

Notes

[1InFOéco n° 78 du 18 février 2014

[2Loi n°2014-58 du 27 janvier 2014, dite de « modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles », dite loi MAPTAM. Loi n°2015-29 du 16 janvier 2015 « relative à la délimitation des Régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral ». Loi n°2015-991 du 7 aout 2015 « portant nouvelle organisation territoriale de la République » dite loi NOTRe

[3« En 2007-2008, les classes pré-baccalauréat des lycées comportaient en moyenne 28,3 élèves. En 2013-2014, elles en comptaient 29,8, soit un élève et demi de plus ». Direction de l’enseignement scolaire, Bilan de la rentrée scolaire second degré 2013-2014, décembre 2013, p.15.