1791 : la loi Le Chapelier ou la chape de plomb sur la possibilité d’une expression syndicale

Histoire par Christophe Chiclet

Le Chapelier, avocat, élu président à l’Assemblée nationale le 4 août 1789 (estampe, pointillé, eau-forte, roulette). Jean-Baptiste Vérité [CC-0]

Si La révolution de 1789 enlève quasiment tous pouvoirs à la noblesse et au clergé, elle prend aussi le soin de museler un mouvement ouvrier naissant.

Dans la nuit du 4 août 1789, les tout nouveaux députés de la Constituante sont réunis sous la présidence d’un avocat rennais, un certain Isaac Le Chapelier. L’homme refera parler de lui deux ans plus tard. Après des siècles d’oppression monarchiste, du jour au lendemain, ou plutôt d’une nuit au petit matin suivant, les privilèges sont abolis. C’est la fin des droits seigneuriaux et des douanes intérieures. Au passage, les libertés régionales sont rabotées. Si tous les citoyens deviennent en principe égaux, la doctrine de la nouvelle assemblée est basée sur la liberté du travail et du commerce. À noter toutefois que la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, ne fait aucune allusion à cette liberté économique.

Les Constituants, dont la théorie du libéralisme économique ne reconnaît que l’individu, décident de supprimer les corporations de maîtres et les coalitions de compagnons (ces dernières étant les premières prémices des syndicats), pour donner la libre accession au patronat pour tous. C’est la loi d’Allarde du 2 mars 1791, premier pas vers la loi Le Chapelier. Le décret qui suit, proposé par Pierre d’Allarde, officialise « la liberté du commerce et de l’industrie », « la liberté d’entreprendre » et « la libre concurrence ». Mais cette loi crée un vide car elle n’évoque pas le droit des employés et leurs rapports avec l’employeur. Au printemps 1791, compagnons et apprentis en profitent pour s’organiser face à la crise économique. Les biens du clergé sont en train d’être mis en vente en enchères. Ouvriers et paysans en sont exclus car trop pauvres et par ailleurs les élections ont encore lieu au suffrage censitaire. Seuls les citoyens qui paient un impôt au-delà d’un seuil, donc d’un montant conséquent, peuvent voter. Les grèves se font de plus en plus nombreuses à Paris en ce printemps 1791. Les ouvriers des faubourgs Saint Antoine et Saint Marceau se rapprochent des républicains du Club des Cordeliers, l’aile gauche des Montagnards, derrière Jacques René Hébert (1757-1794), le fondateur-directeur du journal Le Père Duchesne, Pache, le maire de Paris, le procureur révolutionnaire Chaumette et Jacques Roux chef des « Enragés », l’aile révolutionnaire du prolétariat-sans culottes parisien. Libérés des corporations de maîtres, compagnons et apprentis commencent à créer des « coalitions ouvrières ». Celle des charpentiers de la capitale va tenter d’imposer un tarif (salaire décent fixe) aux patrons.

La réaction bourgeoise

La bourgeoisie constituante prend peur et réagit aussitôt. C’est là qu’on retrouve le petit avocat rennais de la nuit du 4 août. Ce député du tiers-état fait voter, le 14 juin 1791, une loi qui portera son nom. Elle interdit toute association entre personnes d’un même métier et toute coalition ouvrière. Maîtres et compagnons ne peuvent nommer de présidents, secrétaires ou syndics et prendre des arrêtés sur leurs prétendus intérêts communs. En clair, cette loi entraînera l’interdiction de faire grèves et de créer des syndicats. La liberté du travail l’emporte sur la liberté d’association. Un décret du 20 juillet étend ces interdictions aux campagnes, à l’encontre des fermiers, des ouvriers agricoles et des domestiques. Quelques jacqueries éclateront en province et une manifestation ouvrière républicaine sera réprimée dans le sang lors de la fusillade du Champ-de-Mars le 17 juillet 1791.

Exactement une semaine après le vote de cette loi, le Roi est arrêté à Varennes alors qu’il fuyait le pays. Il est destitué, la Constituante est abolie le 30 septembre 1791 et la Première République est proclamée le 21septembre 1792. Louis XVI est décapité le 21 janvier 1793 à 10h20 du matin. En tant qu’un des chefs du parti des royalistes-constitutionnels, Le Chapelier prendra lui aussi le chemin de l’échafaud le 22 avril 1794.

Mais sa loi va lui survivre encore très longtemps, près d’un siècle. En effet, il faut attendre 1864 et une loi de l’Empereur Napoléon III pour que la grève soit tolérée et enfin la loi Waldeck-Rousseau de mars 1884 pour que les syndicats puissent voir le jour officiellement, ce qui conduira directement à la fondation dix ans plus tard, en septembre 1895, de la Confédération Générale du Travail dont FO est l’héritière.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante