1831-1834 : Les révoltes des Canuts

Histoire par Christophe Chiclet, L’inFO militante

Horrible Massacre à Lyon en 1834.

Les révoltes des ouvriers de la soie de Lyon, les Canuts, en octobre 1831 et en avril 1834 sont les toutes premières dans l’histoire du mouvement ouvrier français à avoir su organiser des grèves générales massives.

Au début du XIXe siècle, l’économie lyonnaise reste largement dominée par la soierie. Mais la concurrence internationale et la transformation de l’économie locale dès 1827 entraînent un appauvrissement général de la population. Le salaire des Canuts tombe à 18 sous pour quinze heures de travail quotidien. C’est une situation insupportable pour ces ouvriers spécialisés et éduqués, largement en avance dans l’organisation de leurs droits.
En effet, dès 1811, sous l’Empire, ils avaient arraché un tarif minimum pour le travail de façonnage des tissus. Et, en 1826, en pleine restauration monarchiste réactionnaire de Charles X (1757-1836), ils disposent de leur propre société de secours mutuel.

Forts de leur combativité, les Canuts sont électrisés par la victoire des insurgés parisiens des trois glorieuses (27-29 juillet 1830) conduisant à la chute de Charles X, remplacé par Louis Philippe qui instaure une monarchie constitutionnelle, devenant « Roi des Français » et non plus Roi de France. Mais le nouveau parlement est élu au suffrage censitaire et reste donc ultra conservateur.

Les Canuts ne voyant venir aucune amélioration, le 18 octobre 1831, les chefs d’ateliers des soieries demandent au préfet du Rhône, un certain Bouvier-Dumolart, de réinstaurer le tarif minimum de 1811. Le 25 du même mois, 6 000 Canuts manifestent dans les rues de la Croix-Rousse, leur bastion, leurs ateliers. Le jour même, le préfet accepte. Mais les compagnons et apprentis veulent aller plus loin et débordent leurs chefs d’ateliers. La colère gronde, moins d’un mois plus tard, le 21 novembre, les ouvriers canuts élèvent les premières barricades.

La Monarchie de Juillet envoie alors la police et les gardes nationaux. Or, parmi ces derniers se trouvent nombre de chefs d’ateliers. C’est ainsi que 900 gardes lyonnais passent du côté des insurgés. Le 22, les révolutionnaires contrôlent la Croix-Rousse et la Guillotière, brandissant le drapeau noir, qui deviendra celui des anarchistes plus tard, où ils ont brodé leur devise, « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ».

Les premiers combats font 69 morts chez les émeutiers et une centaine chez les militaires. Le 23, la troupe quitte la ville et les politiciens anti-royalistes tentent de récupérer le mouvement. Refus à l’unanimité des Canuts qui repoussent cette intrusion du politique dans leur lutte sociale, prodrome d’une forme de syndicalisme indépendant.

Le 24, le préfet joue l’apaisement. Les Canuts pensent avoir gagné. Mais Louis Philippe tout juste installé sur son trône veut montrer son autorité. Il dépêche 20 000 soldats de l’armée royale sous la conduite du maréchal Soult, transfuge de la Grande armée. Le 3 décembre, il fait désarmer la population, arrête 90 leaders ouvriers, congédie la Garde nationale, révoque le préfet et abroge le tarif rétabli tout juste un mois plus tôt

1834, deuxième tentative

Le 14 février 1834, instruits par leur premier échec, les Canuts lancent d’abord la grève générale. 60 000 ouvriers et ouvrières des soieries cessent le travail. Il s’agit de la première grève générale du mouvement ouvrier français. Le 23, les grévistes votent la reprise du travail car 162 fabricants ont accepté la hausse des salaires et le fameux tarif.

Mais quelques jours plus tard, le pouvoir fait arrêter treize leaders de la grève. Leur procès commence le 5 avril, mais est repoussé au 9. Le 6 avril, 8 000 Canuts manifestent dans les rues, demandant la libération de leurs camarades. Deux jours plus tard, ils appellent à la grève générale pour le jour du procès. Le 9 au matin, la ville est quadrillée par la troupe qui tire sur les manifestants dès 9 heures du matin. En fin de matinée, les Canuts, rejoints par des militants républicains, dressent des barricades et prennent la caserne du Bon Pasteur. Le 10, le ministre de l’Intérieur retire les troupes du centre-ville et demande au général Aymard de bombarder les barricades.

Ce jeune ministre s’appelle Adolphe Thiers ! 37 ans plus tard, il recommencera à Paris !

Les insurgés n’ont que 300 fusils face à 10 000 soldats. Les derniers combats ont lieu dans la nuit du 13 au 14 avril au pied de la Croix-Rousse. Finalement 130 soldats ont été tués contre 240 révoltés. 500 Canuts seront arrêtés, condamnés à de lourdes peines de prison et/ou déportés. Force est de constater que l’histoire se répète : Lyon 1834, Paris 1871.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

L’inFO militante Le bimensuel de la Confédération