1918-1920 : les ouvriers français au sortir de la Grande guerre

Histoire par Christophe Chiclet

Les héros de la mer Noire. Affiche de soutien aux mutins éditée en 1922. Le Parti Communiste mène une active campagne en faveur de la centaine de marins qui ont été condamnés par la justice militaire.

Les grandes espérances liées aux révolutions et révoltes à l’Est de l’Europe vont se heurter à l’intransigeance des gouvernements « bleu horizon ». Il n’empêche que la CGT va arracher des conquêtes qui feront date.

Au sortir de la « grande boucherie », la France est exsangue : 1,7 million de morts, un million d’invalides, 5 millions d’hommes à démobiliser et tout le nord et le nord-est du pays à reconstruire. Paradoxalement, si l’on manque de bras dans les usines, le patronat et le gouvernement du bloc des droites renvoient sans ménagement les femmes qui ont pourtant fait tourner l’industrie de guerre de 1915 à 1918. Mais elles y ont acquis une conscience de classe et ont été le fer de lance des grandes grèves de 1917. Et face à la saignée des tranchées, le gouvernement Clémenceau relance la politique nataliste. C’est la revanche du machisme patronal et religieux qui trouve son expression politique lors des élections législatives de novembre 1919 où royalistes et catholiques rejoignent la droite républicaine et élisent la fameuse chambre « bleu horizon », de la couleur de l’uniforme des poilus, qui dirigera la France d’une main de fer anti-ouvrière jusqu’en janvier 1921.

Autre paradoxe, la démobilisation est lente (décembre 1918-mars 1921). Cette lenteur freine le retour des ouvriers dans les usines et voit se multiplier les mutineries, comme celle des fameux mutins de la Mer noire [1].

Le gouvernement devra lâcher du lest, d’autant qu’une forte minorité de la CGT veut suivre l’exemple des bolcheviks et des spartakistes. De novembre 1918 à mai 1920, les fonctionnaires, qui obtiennent enfin des droits syndicaux, rejoignent en masse la CGT (postiers, instituteurs et la puissante fédération des fonctionnaires jusque-là dans l’autonomie). En 1920, les effectifs de la CGT approchent les deux millions d’adhérents.

En janvier 1919, Léon Jouhaux, devant le Sénat et la Chambre des députés, demande : les 8 heures, le salaire minimum et la création du Conseil national économique (l’ancêtre du CESE d’aujourd’hui). Fin tacticien, Clémenceau craignant la montée en puissance de la minorité révolutionnaire de la CGT, fait voter le 7 avril 1919 la loi des 8 heures, revendication première de la Confédération depuis 1895, et le 1er mai chômé. Le 16 juillet, il crée le Conseil national économique, mais sans présence des représentants syndicaux.

En mai 1919, 200 000 métallos, en pointe dans les revendications, arrêtent le travail, sans succès. Au printemps 1920, les cheminots lancent des grèves successives échelonnées. Le gouvernement en révoque 22 000. Le syndicalisme ferroviaire mettra quinze ans à s’en remettre. Au congrès d’après-guerre à Lyon en septembre 1919, la motion des minoritaires proclame : Vive la République internationale des Soviets. Les prodromes de la scission de 1921 apparaissent alors de plus en plus clairement quoique encore largement confus dans les différentes approches du syndicalisme dans son rôle et ses buts.

Si la grande espérance révolutionnaire de 1919 portée par les survivants radicalisés des tranchées se solde par un échec, elle a néanmoins obtenu les 8 heures et fait avancer deux idées qui feront leur chemin tout au long du XXe siècle : les nationalisations et le contrôle ouvrier (ancêtre des Comités d’entreprises et des délégués du personnel). Ces deux nouvelles idées seront désormais mises en avant dans l’ensemble des débats des forces syndicales dans l’entre-deux-guerres. Elles seront les bases des acquis sociaux de 1936 et du programme du Conseil national de la résistance (CNR), en partie mis en œuvre en 1945 à la Libération.

 

LA TENTATION RÉVOLUTIONNAIRE
Le 11 juin 1919, dans La Vie Ouvrière, l’ouvrier tourneur, l’anarcho-syndicaliste Marcel Vergeat (1891-1920) écrit : […] Les questions des salaires, les questions professionnelles ou les huit heures ne suffisent plus. Le monde ouvrier veut voir par delà les questions purement économiques…. Avec deux autres camarades, Raymond Lefevre et Jules Lepetit, il représentera la minorité de la CGT au deuxième congrès de l’Internationale communiste à Moscou en juillet 1920. Il mourut lors du voyage de retour vers la France au large de Mourmansk.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

Notes

[1Des dizaines de milliers de jeunes soldats, appelés en 1917-1918, enragent d’être encore sous les drapeaux en Sarre, en Rhénanie, dans les Balkans, en Ukraine, en Palestine.