1918-1923 : Les ouvriers allemands au sortir de la Grande guerre

Histoire par Christophe Chiclet

1923. Brigade française stationnée à Duisburg, près les mines de charbon de la Ruhr. Miscellaneous Items in High Demand, PPOC, Library of Congress [Public domain], via Wikimedia Commons

Les travailleurs allemands vont être les premières victimes économiques et sociales des conditions draconiennes imposées par les vainqueurs lors des traités de paix de 1919, en particulier dans les zones sous occupation militaire française : la Sarre et la Ruhr.

Plus que l’arrivée massive de l’armée américaine en France, ce sont les mutineries des marins et soldats allemands liées aux grandes grèves ouvrières qui ont accéléré la fin de la « grande boucherie ». Une grève générale ouvrière a déjà lieu à Berlin dès janvier 1918. Mais tout va s’accélérer fin octobre avec la révolte des marins de Kiel. Le 4 novembre, 30 000 ouvriers de Stuttgart se mettent en grève et créent leurs propres « Conseils » qui les représentent. Deux jours plus tard, des Conseils apparaissent dans tout le pays. Craignant d’être balayé comme en Russie, le régime pousse le Kaiser à l’abdication. Le 13, les sociaux-démocrates modérés qui avaient soutenu dès le départ l’union sacrée, forment un gouvernement. Deux jours plus tard, ils négocient avec le patronat la journée de 8 heures. Début janvier 1919, les ouvriers de la Ruhr occupent les usines et les mines et commencent la socialisation de leur outil de production. Mais les insurrections sont écrasées dans le sang.

Le 28 juin 1919, le traité de Versailles est signé. Clémenceau venait de déclarer : « L’Allemagne paiera ». Et l’Allemagne a payé, mais sur le dos de sa population. Le Reich perd 1/7 de sa superficie, soit 20% de sa production de charbon, 75% de minerai de fer. La Sarre est rattachée à l’espace économique français pour quinze ans. La propriété de ses mines est transférée à la France. Aussitôt Paris veut supprimer les avantages acquis des mineurs sarrois. Grâce à l’aide de la CGT française, ces derniers pourront les garder.

Les matières premières et les devises allemandes qui partent en France paupérisent dramatiquement la population, en particulier les ouvriers de la Ruhr et de la Sarre. En mars 1920, les travailleurs rhénans se soulèvent et créent une République des Conseils. En solidarité, toutes les mines sarroises sont en grève. L’administration d’occupation française laisse entrer l’armée allemande dans la zone démilitarisée pour écraser les grévistes insurgés.

L’Allemagne en pleine crise économique et financière (début 1923, un dollar vaut 4 200 milliards de reichsmarks) n’arrive plus à honorer ses indemnités à la France. Cette dernière envoie donc 200 000 soldats dans la Ruhr de mai à octobre 1921 puis en janvier 1923 pour deux ans. En 1923, l’armée française prend le contrôle des usines et des mines. La riposte ouvrière contre cette militarisation, qui plus est étrangère, est virulente, mais vaine. Toutes les mines sarroises sont en grève du 4 février au 5 avril. Le 31 mars, une immense manifestation ouvrière se déroule à Essen, contre l’occupation étrangère et la paupérisation. L’armée française tire : treize morts.

La tentative d’émancipation des ouvriers allemands en 1918-1919 sera écrasée par une partie des sociaux-démocrates et de la droite allemande et dans l’ouest du pays par l’armée française. Dix ans plus tard Hitler prendra le pouvoir.

 

LES LIMITES DU SYNDICALISME ALLEMAND
A l’inverse de la CGT française et de sa charte d’Amiens, la Confédération générale ouvrière allemande était totalement liée aux partis politiques. Dans l’esprit de la sociale démocratie allemande, le syndicat n’est que sa force d’appoint au sein du monde ouvrier. C’est ainsi que les syndicats allemands seront durablement touchés et divisés par les positions du SPD (Parti Social Démocrate). La majorité de celui-ci a soutenu dès le printemps 1914 l’union sacrée. La direction de la CGO avec son secrétaire général Karl Legien, totalement inféodée, a suivi. L’aile gauche du SPD a fondé l’USPD durant la guerre. Les syndicalistes anti-union sacrée sont donc entrés en masse dans l’USPD. Puis avec l’apparition des spartakistes et des communistes, d’autres syndicalistes ont suivi. Bref, un mouvement syndical allemand coupé en trois à cause d’une allégeance totale au politique. Lors du congrès de la fédération nationale des travailleurs du sous-sol de la CGT les 23-27 mai 1921 à Metz, les deux délégués sarrois ont annoncé leur adhésion à l’idée de « l’indépendance du syndicat de type français » contre l’ingérence des communistes mosellans et des sociaux-démocrates allemands.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante