1956 : l’espoir renaît à l’Est

Histoire par Christophe Chiclet

Készítette : Fortepan adományozó HOFBAUER RÓBERT - FOTO:Fortepan — ID 93004 : CC BY-SA 3.0

Vingt ans après les Fronts populaires et près de dix ans après la fin de la guerre, c’est à l’Est que le vent de la révolte se lève, ainsi que parmi les peuples colonisés d’Afrique et d’Asie.

Dès le 5 mars 1946, Churchill fait son fameux « discours de Fulton » où il annonce un rideau fer vient de tomber de la Baltique à l’Adriatique. Au même moment, de l’autre côté de ce rideau, le stalinien hongrois Matyas Rakosi théorise « la tactique du salami ». Il s’agit de découper l’opposition en tranches et les manger les unes après les autres. C’est ce qui est mis en place dans toute l’Europe de l’Est jusqu’à sa phase terminale marquée par le coup de Prague en février 1948, enterrant pour quatre décennies toute forme de démocratie syndicale et politique. Là où ils existent (surtout en Tchécoslovaquie), les syndicats sont obligés de se fondre dans une centrale syndicale unique dirigée par les partis communistes locaux. Dès mai 1946, les grèves sont interdites à Prague, passibles de peines de prison.

En mars 1953 Staline meurt. Quatre mois plus tard des émeutes ouvrières éclatent en Pologne, Hongrie et surtout à Berlin-Est où elles sont réprimées dans le sang. En 1955, Khrouchtchev arrive au pouvoir, lance le pacte de Varsovie, une alliance militaire face à l’OTAN mais aussi une force de répression à l’intérieur des Démocraties populaires. En février 1956, les révélations du XXe congrès du PC de l’URSS sur les crimes de Staline vont fissurer l’édifice. Dès octobre 1955, les exilés communistes grecs s’étaient violemment révoltés à Tachkent en Ouzbékistan, suivis par les ouvriers du Kazakhstan à l’été 1956. En juin de la même année le soulèvement des ouvriers polonais de Poznan s’est soldé par 53 morts. En octobre, des manifestations ont lieu à Varsovie. En soutien, les ouvriers défilent dans Budapest. Quelques jours plus tard ce mécontentement se transforme en insurrection de Budapest puis en grève générale nationale. Le 27 octobre, le communiste réformateur Imre Nagy forme un gouvernement avec des non-communistes, obtient le départ de l’armée soviétique et proclame la neutralité de la Hongrie.

Les ouvriers vont plus loin. Dès le 31 octobre, ils fondent « l’Assemblée des Conseils ouvriers », proclamant : Les usines appartiennent aux travailleurs. Ils sont rejoints par cinq regroupements départementaux de paysans et trois conseils de « travailleurs intellectuels ». Ils s’organisent sous la même forme que les Conseils ouvriers-paysans révolutionnaires de 1918-1919, demandant l’autogestion ouvrière et la démocratie multipartie. Ces revendications sont reprises par le gouvernement Nagy. Pour Moscou, il s’agit officiellement de combattre la contre-révolution à l’œuvre en Hongrie. Dans les couloirs du Kremlin il s’agit surtout d’éviter une deuxième Yougoslavie et la création d’un axe Belgrade-Budapest qui aurait immanquablement fait basculer l’ensemble des Démocraties populaires. Le 4 novembre l’armée rouge revient, massacre les insurgés et interdit les Conseils ouvriers.

LA LAME DE FOND DE LA DÉCOLONISATION

L’Angleterre, la France et Israël vont profiter de ce que le monde et l’ONU ont les yeux tournés vers Budapest pour attaquer l’Égypte de Nasser le 31 octobre 1956. En effet, ce dernier a nationalisé le canal de Suez le 26 juillet dans un tonitruant éclat de rire radiodiffusé qui va ébranler l’ensemble du monde arabe. En plus, il est un des quatre leaders du mouvement des non-alignés fondé à Bandoeng en avril 1955, avec Tito, Nehru et Makarios. En plus Nasser aide militairement les Algériens du FLN qui ont pris les armes le 1er novembre 1954. A noter que nombre de militants métropolitains de la toute nouvelle CGT-FO vont aider la lutte de libération des travailleurs algériens, dont le jeune Marc Blondel [1]. Mais l’affaire de Suez va tourner au fiasco et les troupes anglo-françaises évacuent la zone du canal dès le 3 décembre. Quant à la France, elle a perdu la guerre d’Indochine en juillet 1954, a dû concéder l’indépendance au Maroc et à la Tunisie au printemps 1956 et est en train de s’embourber dans la tragédie algérienne.

Le mouvement de décolonisation va finalement toucher l’ensemble de l’Asie et de l’Afrique, sans pour autant apporter la démocratie sociale et politique aux pays nouvellement indépendants. Quant à l’Europe orientale, elle continuera à secouer le joug soviétique en 1968, 1980, jusqu’à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

Notes

[1Marc Blondel : Rebelle. Itinéraire d’un militant, ed. Cherche Midi, 2015.