1968 - Des campus aux usines : vents d’Est, vents d’Ouest

Histoire par Christophe Chiclet

Grève des ouvriers de l’usine Renault, le 5 mai 1968. © Keystone Pictures USA/ZUMA-REA

Sur presque tous les continents, 68 aura été une année de contestations et de révoltes contre l’ordre établi : communisme, impérialisme, capitalisme. Ouvriers, employés, paysans et étudiants s’y sont souvent retrouvés au coude à coude.

Six mois avant le début de l’année 1968, la géopolitique mondiale est irrémédiablement bouleversée par l’explosion de la première bombe atomique chinoise et par la guerre des « Six jours » au Moyen Orient [1]. En janvier-février 1968, les communistes vietnamiens lancent la grande « offensive du Tet ». Le bourbier vietnamien commence à avoir des conséquences aux États-Unis même. Le 4 avril, Martin Luther King est assassiné, tout comme Robert Kennedy deux mois plus tard. L’université new-yorkaise de Columbia, occupée, est brutalement évacuée par une police qui vient de tuer une quarantaine de personnes lors des émeutes interraciales d’avril. Le même mois Rudi Dutschke, le leader des étudiants allemands qui protestent contre la guerre du Viet-nam et le système universitaire de la RFA, est grièvement blessé. En France, l’agitation touche le campus de Nanterre dès le 22 mars. L’université est fermée le 2 mai et le lendemain la Sorbonne est évacuée par la police. Un mois plus tôt les étudiants brésiliens se sont soulevés contre la dictature, suivis durant l’été par leurs frères mexicains. A la veille de l’ouverture des JO, l’armée mexicaine fera le ménage en tirant dans le tas.

Pendant ce temps, à l’Est, sans faire trop de bruit, les Tchécoslovaques secouent le joug soviétique. Le 3 janvier, le réformateur Alexander Dubček est élu secrétaire général d’un Parti communiste qui adopte le 5 avril « la voie de la Tchécoslovaquie vers le socialisme », plus connue sous le terme de « construction du socialisme à visage humain ». Plus véhéments, les étudiants polonais manifestent en mars à Varsovie, Cracovie et Lublin demandant eux aussi plus de liberté, suivis en juin par ceux de Belgrade unis autour de la revue Praxis.

PRINTEMPS PERDUS

Si le printemps voit l’espoir se lever de chaque côté du rideau de fer, la fin de l’été sera des plus pénibles. La réaction des pouvoirs en place prendra soin de fermer cette dangereuse parenthèse.

Les étudiants parisiens manifestent dès le 7 mai. La première « nuit des barricades » se déroule dans le quartier Latin les 10-11. Le 13, 900 000 personnes défilent dans Paris (travailleurs, étudiants, syndicats, partis de gauche). Dès le lendemain, les ouvriers occupent leurs usines à Cléon (Renault) et à Nantes (Sud-aviation). Comme en 36, la grève générale avec occupation s’étend comme une traînée de poudre. Le 20 mai, la France compte plus de six millions de grévistes. Une semaine plus tard, les accords de Grenelle sont « signés » apportant nombre d’améliorations pour les travailleurs [2]. Après son escapade à Baden Baden, de Gaulle veille au grain. Le SAC, sa police parallèle, organise la grande manifestation du 30 mai sur les Champs Élysée où il rameute des beaux quartiers mais surtout de la province près d’un million de personnes. Le 30 juin, les gaullistes remportent largement les élections. Le 18 juin, la reprise du travail est totale.

Le 27 juin, la censure est abolie à Prague. Tito puis Ceausescu sont reçus triomphalement à Prague en août, voulant par leur présence éviter le bain de sang de Budapest 56. Mais le néostalinien Brejnev n’en a cure, au contraire, pour éviter la contamination, il lance ses chars les 20-21 août. Le printemps de Prague disparaît sous les chenilles des T-56. Deux mois plus tard, les dissidents sont massivement arrêtés.

A l’automne, alors que la guerre du Biafra se termine avec ses centaines de milliers de morts de faim, la reprise en main est générale sur les quatre continents, sauf dans l’indomptable Grèce. Malgré les emprisonnés, les torturés, les déportés aux îles, un million de Grecs qui subissent depuis dix-neuf mois la dictature d’un quarteron de colonels quasi analphabètes, accompagnent jusqu’à sa dernière demeure Giorgos Papandréou, le démocrate qui fit brièvement revivre la démocratie en 1964-65 et dont la victoire annoncée aux élections de juin 1967 entraîna le coup d’État du 21 avril, minutieusement organisé par la CIA et l’échelon grec du réseau Gladio de l’OTAN.

Christophe Chiclet Journaliste à L’inFO militante

Notes

[1Le 10 juin 1967 l’armée israélienne occupe le Sinaï, le Golan, Jérusalem Est et la Cisjordanie. Ces deux dernières régions sont aujourd’hui au cœur du conflit israélo-palestinien.

[2Augmentation des salaires, baisse des horaires, représentation syndicale d’entreprise…