Le rôle du syndicat méconnu en matière de handicap

Travailler à l’égalité par Béatrice Clicq, Clarisse Josselin, Roxane Idoudi, Serge Legagnoa, Yves Veyrier

Photographie : F. Blanc (CC BY-NC 2.0)

La 19e journée Travail et handicap s’est tenue le 18 décembre dans les Salons de l’Aveyron à Paris avec 350 participants. Le thème retenu était « l’action du syndicat en faveur de l’emploi des travailleurs en situation de handicap ».

Plus d’une vingtaine d’intervenants se sont succédé à la tribune de la 19e journée travail et handicap pour venir témoigner et présenter leurs actions en matière d’emploi des personnes en situation de handicap. Parmi eux des élus FO, des responsables de structures, des mandatés FO sur le handicap mais aussi des acteurs du monde du handicap au niveau national et des médecins du travail. L’objectif était notamment un échange de bonnes pratiques, d’informations et d’outils sur l’action du syndicat en faveur de ces travailleurs.

On compte en France 2,3 millions de personnes en situation de handicap, dont 900 000 bénéficient d’une reconnaissance administrative. Leur taux de chômage atteint 19%, soit le double des travailleurs valides. Les entreprises d’au moins 20 salariés ont l’obligation d’employer a minima 6% de travailleurs handicapés dans leurs effectifs. Mais on n’y est pas, il y a encore beaucoup à faire, a regretté Yves Veyrier, secrétaire général de FO, en introduction de cette journée.

Serge Legagnoa, secrétaire confédéral chargé de la protection sociale, a déploré que 95% des procédures d’inaptitude aboutissent à un licenciement, et que 5 à 10 % des salariés sont menacés de perdre leur emploi à court ou moyen terme pour une question de santé. L’une des priorités du plan santé au travail 2016-2020 porte sur la lutte contre la désinsertion professionnelle, a-t-il expliqué. Et pour la prévenir, l’adaptation du poste doit être prise le plus en amont possible.

Les femmes handicapées plus précaires et plus isolées

Dominique Gillot, présidente du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), a elle aussi insisté sur la nécessité de l’anticipation en matière de réorientation professionnelle.

En 2018 et pour la deuxième fois, le handicap est la première cause de réclamation et de saisine du Défenseur des droits, soit un quart d’entre elles, a expliqué Patrick Gohet, adjoint au Défenseur des droits. Et les femmes handicapées sont majoritaires dans les saisines. Cela concerne d’abord l’emploi, que ce soit l’accès, le maintien, l’évolution de carrière ou l’adaptation à l’environnement.

Béatrice Clicq, secrétaire confédérale, est aussi intervenue sur la double discrimination subie par les femmes handicapées. Un pour cent des femmes handicapées sont des cadres contre 14% des femmes en emploi dans leur ensemble, a-t-elle précisé. Par ailleurs, les postes traditionnellement plus féminins comme le secrétariat, la vente ou l’aide à domicile sont moins accessibles aux femmes handicapées. En conséquence, elles sont moins en emploi, avec des salaires moins élevés, et souffrent davantage de précarité et d’isolement.

Autre statistique, les femmes avec des maladies chroniques perdent deux fois plus souvent leur emploi que les hommes dans la même situation. Entre 2001 et 2012, les accidents du travail touchant les femmes ont augmenté de 20%. Et les nouvelles reconnaissances de qualité de travailleur handicapé (RQTH) concernent surtout des femmes.

Les syndicats ont un rôle à jouer en matière d’accompagnement

Premier constat, en matière de handicap, le rôle du syndicat est complètement méconnu des collègues, malgré son impact concret et réel, mais il devient visible pour la personne qui est dans les démarches a expliqué Estelle Boubault, télé-gestionnaire Inter Mutuelles Habitat à Niort et auteur d’un mémoire d’étude à Sciences Po en 2018 sur le rôle du syndicat dans l’acceptation du handicap en entreprise.

Patrick Gohet, adjoint au Défenseur des droits, a estimé pour sa part que les syndicats sont de plus en plus déterminants pour la prise en compte du handicap en entreprise. Leurs rôles sont multiples, que ce soit en termes de sensibilisation des salariés et des employeurs ou de négociation pour faire évoluer les dispositifs. Ils ont aussi un rôle à jouer en matière de prévention et d’accompagnement des salariés handicapés ou qui le deviennent pour une meilleure intégration en entreprise. Cela concerne le maintien dans l’emploi, le reclassement, l’inaptitude, le départ en retraite, les modalités de travail…

Pour prévenir les situations de handicap, améliorer les conditions de travail, et donner leur avis sur les reclassements, les instances représentatives du personnel (IRP) ont un rôle à jouer notamment en SSCT, successeur du CHSCT. Avec la mise en place du CSE qui ne rend obligatoire le CSSCT qu’à partir de 300 salariés et réduit le nombre d’élus, on doit être vigilants pour rendre la question du handicap incontournable à l’avenir, a prévenu Estelle Boubault.

La moitié des personnes sera confrontée à une situation de handicap au cours de sa vie

La baisse de moyens rend indispensable la nécessité pour les élus de se former, et notamment dans le cadre du stage confédéral dédié à l’action syndicale, comme l’a rappelé Anne Baltazar, conseillère confédérale en charge du handicap et organisatrice de cette journée.

Autre constat revenu à plusieurs reprises : la nécessité de mener des actions à tous les niveaux, en entreprise ou dans l’administration, au niveau local, fédéral, départemental, confédéral. Autre impératif, travailler en réseau, avec une personne référente spécialisée sur la question du handicap. Certaines unions départementales, notamment celles du Rhône ou du Bas-Rhin, ont mis en place des commissions handicap. Une permanence est même organisée deux fois par mois à Strasbourg.

C’est de ce fait un levier de développement que Roxane Idoudi, secrétaire confédérale chargée du développement, a appelé de ses vœux. FO a su se faire reconnaître auprès des organismes et des professionnels, mais on ne sait peut-être pas assez bien le dire aux entreprises et les collègues, a-t-elle expliqué. En plus de participer aux négociations, il faut aussi montrer tout ce que vous faites. La moitié des personnes sera confrontée à une situation de handicap au cours de sa vie, faites savoir au quotidien ce que vous réalisez.

Des actions de sensibilisation dédiées aux managers

En matière de négociation, le handicap peut faire l’objet d’un accord spécifique. Mais les différents intervenants ont insisté sur le caractère transversal de ce thème, qui doit être pris en compte dans toutes les autres négociations : GPEC, formation, congés, égalité, actions sociales et culturelles…

Jean-Christophe Dalessio, délégué syndical FO Com est venu présenter un accord sur le handicap négocié chez Orange. Dans l’entreprise, le taux d’emploi de travailleurs handicapés atteint 7,45%, dont 6,46% directement. L’accord prévoit, sur trois ans, le recrutement de 150 personnes handicapées en CDI et 360 alternants. Le syndicat a aussi obtenu un plan d’action pour rattraper le retard des personnes handicapées en matière de formation professionnelle. Des actions de sensibilisation sont menées pour faire évoluer le regard des salariés sur le handicap, certaines sont spécialement dédiées aux managers.

Un accord handicap peut aussi être négocié au niveau de la branche, comme c’est le cas dans la métallurgie, un secteur qui compte 1.5 millions de salariés, pour 43 000 entreprises et 376 milliards d’euros de chiffre d’affaires. L’objectif est d’augmenter le taux de salariés handicapés, de déployer une politique de branche durable et de réaliser un diagnostic.

A l’issue de la journée, Anne Baltazar a invité les militants à siéger dans toutes les instances où c’est possible et à porter le sujet du handicap y compris au niveau des Conseils économiques sociaux et environnementaux régionaux (Ceser). Elle a appelé à la défense et au renforcement de la médecine du travail. Elle a par ailleurs revendiqué le retour de la RQTH comme critère d’accès à la retraite anticipée.

Les aidants familiaux, un sujet incontournable
Les discussions ont aussi porté sur la question des aidants familiaux. Béatrice Clicq, secrétaire confédérale chargée du secteur de l’égalité professionnelle, a rappelé qu’aujourd’hui, un Français sur six accompagne une personne dépendante, soit 11 millions de personnes. Parmi eux, 68% sont actifs et un quart travaillent à temps partiel, a-t-elle précisé. La moitié d’entre eux disent avoir besoin de temps. Elle a rappelé les dispositifs existants : possibilité de prendre des congés non rémunérés, dons de jours de congés entre collègues ou pour un proche aidant. Ce sont des solutions basées sur la solidarité, qui sont peu coûteuses pour les pouvoirs publics, a souligné Béatrice Clicq. En 2035, un tiers de la population aura plus de 60 ans, et on manque déjà de places dans les Ehpad. Les aidants familiaux ne doivent pas devenir la règle. Il y a des répercussions en terme de stress, sur la santé, certains ont dû changer de métier. Les services publics doivent être suffisants pour répondre à la demande et être à un prix abordable, pour qu’être aidant soit un choix. Pour y parvenir c’est un travail commun de nous tous, chacun avec son mandat.

4 jours de congés supplémentaires chez Airbus

Dominique Gillot, présidente du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), a appelé à une mobilisation de toute la société sur la question des aidants, y compris les entreprises et à lancer le débat. Il faut avoir le temps et la disponibilité d’esprit pour être aidant, a-t-elle précisé. Les aidants perdent leur disponibilité au travail, la qualité de leur travail baisse, ils sont de plus en plus absents et l’éloignement de l’emploi s’enclenche. Ils sont mis au placard, menacés de licenciement ou signent une rupture conventionnelle. C’est un vrai sujet d’avenir. Les salariés ont besoin d’information et de sensibilisation. Il faut leur accorder plus de temps via des congés, l’action sociale de l’entreprise peut financer des aménagements, tout cela peut être négocié dans un accord.

Chez Airbus, Josette Raynaud est parvenue à négocier un accord sur les aidants familiaux, dans le cadre de la négociation sur l’égalité professionnelle. C’est à nous de revendiquer et de proposer ce sujet, a-t-elle expliqué. L’accord accorde quatre jours par an supplémentaires aux aidants familiaux. Sont également organisés des conférences, des formations, des ateliers le midi, un forum annuel…

Photographie : F. Blanc (CC BY-NC 2.0)

Béatrice Clicq Secrétaire confédérale au Secteur de l’Egalité et du Développement durable

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

Roxane Idoudi Ex-Secrétaire confédérale au Secteur du Développement de l’Organisation

Serge Legagnoa Ex-Secrétaire confédéral au Secteur de la Protection Sociale Collective

Yves Veyrier Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière