L’exception culturelle n’existe pas en matière d’austérité. Ce secteur a dû, comme les autres, et même plus que les autres, participer à l’effort de réduction des dépenses publiques. Le budget de la culture est en baisse, du jamais vu depuis trente ans : après une réduction de 3,81% en 2013, l’enveloppe du ministère a encore diminué de 2% en 2014. Et le ministère des Finances a annoncé un gel de 7% des crédits en 2014, après un premier gel de 6% en 2013.
Pour dénoncer l’érosion des budgets, alors que François Hollande en campagne déclarait vouloir « sanctuariser le budget de la culture », l’ensemble des organisations syndicales du monde culturel, dont FO, ont appelé, le 10 février, à une manifestation intitulée « Je marche pour la culture ».
La ponction touche l’ensemble du réseau dédié à la création dramatique et chorégraphique, et même les scènes nationales les plus prestigieuses. Le théâtre national de l’Odéon-Théâtre de l’Europe a perdu 1% de subventions en 2013 et 0,5% en 2014, perte à laquelle s’ajoute le gel des crédits.
« Nous sommes obligés de rogner sur la marge artistique, reconnaît le délégué FO Pascal Lelièvre. Nous avons des difficultés pour finir la programmation de la saison. Nous faisons moins de créations et plus de théâtre d’accueil [1]. Et nous accueillons aussi moins de compagnies de théâtre étrangères en raison des coûts, notamment d’hébergement. » Pour augmenter ses fonds propres, comme d’autres scènes nationales, le théâtre a créé, il y a quelques années, un service mécénat. Son fonctionnement repose désormais en partie sur le soutien financier du privé.
Entre la baisse de la subvention publique, les gels de crédits et les prélèvements opérés par l’État, l’Opéra de Paris a perdu 38,5 millions d’euros, soit 10% des sommes prévues pour la période 2012-2015. Pour compenser la baisse, il augmentera de 10% le prix de ses billets les plus chers pour la saison 2014-2015. Une première depuis 2009.
Une réflexion est également en cours pour mieux encadrer le financement du cinéma, déficitaire, alors que les chaînes de télévision œuvrent pour obtenir une baisse de leur contribution obligatoire à la création. À Radio France, premier employeur d’acteurs au niveau national, la restriction budgétaire est plus sournoise. France Inter et France Culture sont tenues de diffuser sept heures de fictions par semaine. Les réalisateurs recrutent les comédiens de leur choix. Sans réduire le budget, la direction leur impose un quota annuel d’heures de mise à disposition d’assistants. « Ce quota baisse d’année en année et sans assistant nous ne pouvons pas travailler, donc la production diminue, c’est un système pervers », dénonce Michel Sidoroff, réalisateur et délégué FO.
Rogner sur la marge artistique
L’inquiétude plane aussi à l’échelle des collectivités territoriales, également frappées d’austérité et qui subventionnent la culture à hauteur de 7,6 milliards d’euros par an. La Fédération des Arts, du Spectacle, de l’Audiovisuel et de la Presse (FASAP FO) s’inquiète de l’acte 3 de la loi de décentralisation qui donne le pouvoir aux Régions. « Chaque Région pourra organiser son budget comme elle l’entend, c’est la fin de la culture égalitaire pour tous », prévient sa Secrétaire générale Françoise Chazaud.
À titre d’exemple, en Languedoc-Roussillon la baisse des subventions à la culture est de 5% pour 2014. La Région a aussi réduit de plus de moitié son financement de l’Opéra de Montpellier pour financer le train à 1 euro.
La Secrétaire générale craint une éventuelle disparition des Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et s’interroge sur l’avenir de ses personnels, fonctionnaires d’État. Elle a interpellé directement François Hollande. Le président nie un quelconque désengagement de l’État dans le domaine culturel. « Il n’est envisagé ni de supprimer les DRAC, ni de restreindre le rôle de pilotage et d’impulsion de l’administration centrale du ministère », assure-t-il dans un courrier. Il précise que cette délégation de compétences permettra surtout de fluidifier et d’améliorer les structures.
« Compte tenu du pacte de responsabilité, nous sommes inquiets, ajoute Françoise Chazaud. Avec la baisse de 50 milliards d’euros, nous avons toutes les craintes pour la culture. Ce n’est pas avec des paroles rassurantes ou des promesses qu’on peut s’engager à long terme pour la préserver. »
L’an dernier, le « think tank » ultralibéral Ifrap suggérait par exemple aux Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC), subventionnés par l’État et les Régions, de vendre 10% de leurs collections pour augmenter leurs ressources propres.
Bien que les collections soient inaliénables et qu’un rapport du sénateur Jean-Pierre Plancade souligne une gestion maîtrisée des FRAC, leur statut associatif les rend fragiles. Pour parer au danger, la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a promis d’intégrer leur sécurisation à la grande loi sur la création artistique, en préparation.
Pour les intermittents, dont le régime est attaqué par le Medef, les temps sont particulièrement difficiles. « J’ai des projets artistiques à foison, mais je m’engage sans savoir si le financement suivra, explique Loïc, 25 ans, comédien sorti de l’école il y a deux ans. On répète durant des mois et si jamais on parvient à être payé, ce n’est jamais à la hauteur du travail effectué. » Passionné par son métier, il vit de petits boulots et du RSA. « L’émulation est toujours là, mais il n’y a plus d’argent et il y a une baisse de qualité et d’exigence », poursuit-il.
« En général, quand on baisse un budget la première chose qu’on sacrifie c’est la culture, on peut comprendre qu’elle ne soit pas considérée comme d’une nécessité vitale, comparée à la santé, l’éducation ou la sécurité, mais du point de vue économique, c’est à tort, explique Françoise Chazaud. Un euro dépensé pour la culture rapporte quatre euros à l’économie du pays. » C’est ce que démontre un récent rapport commandé conjointement par les ministres de la Culture et du Budget. Peut-être un moyen de sauver la culture, tout autant essentielle au tissu social, à la démocratie, à la liberté d’expression et de penser.