Avec les projets de loi de finances rectificative (PLFR) et de loi de finances rectificatives de la sécurité sociale (PLFRSS), le gouvernement concrétise son « Pacte de responsabilité et de solidarité ».
En global, les cadeaux consentis aux entreprises, sans aucune conditionnalité ni contrepartie, atteignent le montant vertigineux de 40 Mds : 20 Mds au titre du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi), 10 Mds d’allégements de cotisations patronales et 10 Mds de baisses d’impôts pour les entreprises.
Ce collectif budgétaire marque également une poursuite et une accélération insensées dans l’austérité, en prévoyant tout d’abord 4 Mds d’économies supplémentaires dès 2014 (qui s’ajoutent aux 15 déjà imposés aux budgets des services publics et sociaux) avec, en particulier, 1,6 Mds de nouvelles annulations de crédits de l’État (c’est-à-dire des commandes publiques pour le secteur privé, et donc pour l’emploi, qui étaient programmées et qui n’auront pas lieu).
1/ Accélération de l’austérité, dangereuse et suicidaire
En global, ces économies correspondent à presque 70 Mds en moins pour les missions publiques, les services publics, les organismes sociaux et la protection sociale : 15 + 4 Mds en 2014 / 50 Mds sur les trois années suivantes [1]. Elles visent à respecter le « solde structurel », un nouveau concept budgétaire non statistique et non chiffrable, et le cadre du Traité européen de stabilité, de coopération et de gouvernance (TSCG).
Comment qualifier autrement que d’absurde, cette politique qui entame à chaque loi de finances la capacité d’intervention publique, et notamment la politique sociale, pour respecter ce nouvel objectif qui ne repose que sur des constructions théoriques et arbitraires [2], totalement hors sol de l’économie réelle ?
Encore plus absurdes, sont les raisons pour lesquelles le déficit public s’est récemment dégradé [3] (et pour lesquelles la « trajectoire de solde structurel » s’est éloignée de sa cible) et qui sont liées à la baisse, beaucoup plus importante que prévue, des recettes fiscales, une conséquence normale et attendue du manque de croissance (et de consommation) dont souffre l’économie française et qui est liée au caractère récessif de cette politique budgétaire d’austérité !
En d’autres termes, alors que l’austérité se traduit par une nouvelle dégradation de l’endettement public, et que le déficit public n’atteindra jamais l’objectif théorique de 0% en 2017, le gouvernement accélère dans la rigueur budgétaire avec la mise en œuvre d’un plan d’austérité qui s’élève déjà à 70 Mds sur la période 2014-2017.
Ce collectif budgétaire prévoit ainsi les premières mesures constitutives de ce grand plan d’économies qui seront des mesures extrêmement dommageables puisqu’il s’agit de reporter la revalorisation d’une grande partie des prestations sociales parmi lesquelles, par exemple, les aides au logement.
Parmi les quatre ministères les plus touchés par ce collectif, le ministère de la Défense paiera, comme souvent, le plus lourd tribu avec 350 millions d’euros d’annulation de crédits, suivi du ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche touché à hauteur de 189 millions, du ministère des Finances pour 150 millions d’euros, et du ministère du Travail, de l’emploi et du dialogue social pour 127 millions d’euros [4].
Toutes les composantes de l’action publique sont sollicitées et la sphère sociale sera donc loin d’être épargnée. En effet, le report de la revalorisation (initialement prévue à l’automne 2014) de toutes les aides au logement, qu’elles soient versées par l’État ou par les administrations de sécurité sociale [5], et plus largement la non-revalorisation de l’ensemble des autres prestations sociales versées par les organismes de sécurité et de protection sociale (hors minima sociaux et petites retraites), constitueront les premières mesures concrètes d’économies. Combinés (PLFR et PLFRSS 2014), ces mesures de gel devraient permettre de dégager 1,7 Mds d’économies [6] !
Les gels de prestations sociales prévus par le PLFR et le PLSSR 2014 sont sans précédent : les pensions de retraite supérieures à 1 200 euros et l’allocation de logement familiale (ALF) ne doivent pas être revalorisées pendant un an. L’absence de revalorisation des pensions de retraite concernerait 8 millions de personnes, soit la moitié des retraités, et représenterait un effort de 11 euros par mois, d’après le rapporteur du projet de loi. Le gel des prestations familiales et de celles versées au titre de l’invalidité et des accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP), dont la prochaine échéance de revalorisation est en avril 2015, figurera dans le PLFSS pour 2015.
En plus d’être particulièrement néfastes socialement, ces mesures sont, comme beaucoup d’autres, un non-sens économique compte tenu de l’impact qu’elles ont nécessairement sur la consommation qui a toujours été en France l’un des principaux moteurs de la croissance.
Combinées, l’austérité budgétaire et cette volonté de « baisser le coût du travail » entretiennent un cercle vicieux où l’absence de croissance vient alimenter le creusement des déficits publics et sociaux, annihilant tout espoir de reprise et d’activités. Et les dizaines de milliards accordés aux entreprises grèvent à leur tour le budget de l’État et les comptes sociaux.
2/ De nouvelles mesures pour les entreprises (qui en manquaient…)
Ce collectif budgétaire est, dans le budget de l’État et dans celui de la Sécurité sociale, la traduction budgétaire des premières mesures du Pacte de responsabilité et de solidarité privilégiant dès 2015, les PME et TPE.
Il prévoit en effet une baisse de la fiscalité des entreprises, en particulier de celle des PME et des TPE avec, pour ces dernières, la quasi suppression de la Contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S [7]. Toutes les entreprises bénéficieront par ailleurs de nouveaux allègements de cotisations patronales en faveur des salaires situés entre 1 et 1,6 Smic.
Au final, ces allègements se cumulant à d’autres déjà existants, il est important de souligner qu’à partir de 2015, les employeurs ne paieront plus de cotisations patronales au niveau du Smic. De même, les indépendants profiteront à partir de 2015 d’une baisse des cotisations famille de 3 points.
Les autres mesures prévues seront étalées sur 2016 et 2017. En 2016, seront mis en œuvre les allègements des cotisations patronales familiales pour les salaires plus élevés, c’est-à-dire pour les salaires compris entre 1,6 et 3,5 Smic – la baisse des cotisations famille sera de 1,8 point. En matière de fiscalité, un abattement complémentaire de C3S sera institué et la contribution exceptionnelle d’impôt sur les sociétés sera supprimée. En 2017, la C3S sera supprimée totalement et le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) amorcera sa baisse pour atteindre 28 % en 2020 contre 33,33% actuellement.
Parce que c’est essentiellement par l’intermédiaire d’un transfert fiscal sur les ménages qu’ont été financées les mesures d’allègement des entreprises, le PLFR 2014 prévoit une mesure à destination des ménages modestes visant à compenser le caractère très déséquilibré de la politique fiscale menée depuis fin 2012 – et compenser en particulier les quelques 10 Mds de hausses de prélèvements fiscaux prévus dans la loi de finances 2014 initiale qui a fait suite à 12 Mds de hausse en 2013.
Il s’agit d’une mesure exceptionnelle d’allègement de l’impôt sur le revenu pour un coût estimé à 1,1 milliard. Presque 4 millions de ménages modestes (3,7 exactement) devraient en bénéficier pour un montant de 350 euros pour un contribuable seul et de 700 euros pour un couple [8]. Près de 2 millions de foyers devraient encore demeurer non imposables et même sortir, pour une partie d’entre eux, du barème de l’impôt sur le revenu.
Au total, les ménages modestes devraient bénéficier d’ici 2017 de 5 Mds d’allègements fiscaux et sociaux dont la moitié au titre de l’allègement des cotisations salariales – les autres mesures restant encore inconnues à ce jour.
Toutes ces mesures viennent à la fois réduire les budgets de l’État, des collectivités, de l’hôpital public et des organismes sociaux. Ils fragilisent encore un peu plus la Sécurité sociale et les services publics.
Le tout pour « réduire le coût du travail » et distribuer des sommes colossales aux entreprises sans ciblage préalable, sans condition et sans contrôle. Les premières remontées concernant le CICE montrent pourtant un impact nul sur l’emploi et même sur l’investissement productif. En revanche, il est constaté une dérive de l’utilisation du CICE vers des filiales à l’étranger, en remontées de dividendes pour les actionnaires et, surtout, vers les donneurs d’ordre qui imposent à leurs sous-traitants de répercuter le montant de leur CICE en réduction sur le coût de leurs prestations.
3/ Les rapports le confirment : une politique récessive et destructrice
La dernière « note de conjoncture » de l’Insee de juin 2014 infirme les prévisions de Bercy et du gouvernement qui sont pourtant utilisées pour asseoir ce collectif budgétaire.
Clairement, ce rapport explique que la reprise économique est d’autant plus incertaine que si elle était hypothétique elle se retrouverait bridée par la rigueur budgétaire.
Après une croissance nulle au premier trimestre 2014, elle n’atteindrait que 0,3% au T2 et resterait péniblement similaire aux T3 et T4. Au final, l’Insee prévoit une croissance très faible de 0,7% au mieux sur toute l’année 2014. Or, le gouvernement table sur 1% pour justifier les PLFR et PLFRSS en cours de discussions parlementaires [9].
Plus important et significatif que cette note de l’Insee, la députée, rapporteure générale du Budget, explique clairement que ce plan d’économies et ces cadeaux de « baisse du coût du travail » auront un effet récessif.
Dans un rapport rendu public à l’occasion de l’ouverture des débats au Parlement du PLFR 2014, il est ainsi évalué un effet récessif de 0,7 % en moyenne par an, soit, sur la période 2015-2016-2017, plus de 2% de croissance qui serait ainsi sacrifié par le montant considérable de cette austérité budgétaire.
Ce qu’exprime très précisément ce rapport (dont les chiffres initiaux proviennent de Bercy !) est une mise en cause sans appel de la politique économique du Président de la République et de son gouvernement : l’austérité et ce « Pacte de responsabilité » sont clairement liés (ceux qui soutiennent le Pacte, concourent à l’austérité…) dans un même impact récessif.
L’austérité et le Pacte sont suicidaires économiquement. Et il n’y a plus que Force Ouvrière qui le démontre…
Achevé de rédiger le 30 mai 2014