Confiance ou contrôle | Douanes, la crainte de la vente à la découpe

Service Public par Mathieu Lapprand

Entre libre-échange et protectionnisme, les effectifs douaniers ont toujours fluctué selon les politiques commerciales en vigueur. Aujourd’hui les 17 000 douaniers sont si peu nombreux qu’ils craignent la disparition ou l’éclatement de leur administration. Et le Projet stratégique des douanes 2018 ne les rassure pas, comme l’a montré leur forte mobilisation le 20 mars dernier.

Alors que la lutte contre la fraude fiscale était une promesse présidentielle et reste affichée comme une priorité du gouvernement, le Projet stratégique des douanes (PSD 2018) prévoit de réduire encore un peu plus les capacités et les compétences des douanes. Car les services financiers, dont la douane, n’ont pas été retenus comme prioritaires par le gouvernement et subissent en conséquence l’application drastique de la MAP (Modernisation de l’action publique). Restrictions budgétaires, suppres­sions de postes, le Projet straté­gique des douanes poursuit et amplifie la RGPP (Révision gé­nérale des politiques publiques) : 1 700 suppressions d’Équivalents temps plein entre 2009 et 2013, soit plus de 10% des effectifs douaniers. En 1993, le corps des douanes comptait plus de 22 500 membres, 19 500 en 2005 et environ 17 000 aujourd’hui.

« D’un douanier supprimé par jour dans la période précédente, on passe à quatre cents par an. Le phénomène s’amplifie », décrit Michèle Boutonnet, Secrétaire générale de l’USD FO. Le Projet stratégique des douanes contient toutes les recettes habituelles de la MAP : simplification, concentration, mutualisation des fonctions support : la gestion des concours, le système d’information, les fonctions budgétaires et comptables, immobilières, la communication et le juridique : tout sera concentré dans la nouvelle organisation proposée. Avec en prime des fermetures d’antennes, de postes de douane, des regroupements en zones interrégionales aussi immenses que diverses. Au moins l’une des trois écoles des douanes va fermer et une seconde est sur la sellette.

Ce plan, rédigé sans les organisations syndicales qui avaient boycotté son élaboration, concentre aujourd’hui toutes les craintes quant à la pérennité du corps des douanes. De plus, rien ne semble prévu concrètement pour accompagner les suppressions d’antennes ou les regroupements. Michèle Boutonnet pointe les conséquences qu’auront à affronter les agents qui seront réaffectés : « perte d’emploi du conjoint, moins-value sur la revente d’un bien immobilier, ou loyer plus élevé dans les grands centres urbains, certains équilibres familiaux seront impactés... ».

Le 20 mars, une mobilisation de douaniers sans précédent

Et la mobilisation contre ce projet a été à la hauteur des craintes qu’il suscite : plus de 5 000 membres de l’administration des Finances, dont environ 3 000 douaniers, ont participé à la manifestation parisienne du 20 mars. Le nombre de grévistes a établi de nouveaux records : plus de 45% en moyenne nationale et des pointes supérieures à 80% dans les services déconcentrés. Les responsables de l’intersyndicale ont rencontré Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve à la suite de cette mobilisation sans précédent. Si les ministres sont restés fermes sur le plan proposé, ils se sont attachés à démentir les rumeurs d’un démantèlement de l’administration des douanes. Pierre Moscovici a « réaffirmé l’unité nécessaire de celle-ci », selon l’USD FO. Reste dorénavant à obtenir le même engagement de Michel Sapin, la nouvelle tutelle...

C’est en effet actuellement l’une des craintes des douaniers : que leur nom­bre devienne trop faible pour justifier l’existence d’un corps spécifique. L’une des activités principales des douanes concerne la perception de la TVA sur les produits importés. Or les procédures automatisées mises en place, toujours au nom de la fluidification des échanges, permettent déjà à plus de trois cents entreprises de bénéficier d’une Procédure de domiciliation unique (PDU). Plus d’automatisation, c’est plus de confiance et donc moins de contrôles. Si l’ancien ministre Bernard Caze­neuve avait assuré aux douaniers le maintien de la perception de la TVA dans leurs prérogatives, il n’avait pas fermé la porte à des expérimentations locales de coordination avec d’autres administrations des finances. Le risque perçu par les douaniers est donc celui d’une explosion d’une administration trop petite pour rester autonome et qui pourrait donc être divisée, répartie, fusionnée avec d’autres services ou ministères.

Les douanes assurent la perception de 15% des recettes de l’État. L’orientation des douanes fixée par ce projet est cohérente avec l’orientation économique du gouvernement : tout faire pour faciliter la vie des entreprises et qu’importe le reste de la population.

Textes et photos
Mathieu Lapprand

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante