Un chambardement territorial pour rien ?

Décentralisation par Valérie Forgeront

La prochaine restructuration territoriale induirait peu d’économies, assurent nombre d’observateurs dont l’agence de notation Moody’s.

La réorganisation territoriale va-t-elle engendrer des économies substantielles, ainsi que le prétendent les pouvoirs publics ? Le secrétaire d’État à la Réforme territoriale, M. Vallini, a certes annoncé le 3 juin que cette réforme, qui sera présentée le 18 juin en Conseil des ministres, induirait 10 milliards d’économies d’ici cinq à dix ans, soit 5% du budget total (250 milliards d’euros) des collectivités. Aucune prévision précise n’a cependant été publiée. Quant au coût de la mise en place de cette restructuration territoriale, il règne là encore un profond silence du côté de l’État, lequel avait demandé précédemment aux collectivités de participer pour 11 milliards au plan national d’économies (50 milliards) programmé d’ici à 2017. De fait, pour dénicher quelques appréciations d’ordre financier concernant la réforme territoriale, il faut aller voir du côté des élus locaux ou encore des économistes. Ancien sous-préfet et spécialiste de la décentralisation, Michel Péraldi estime ainsi que « la fusion des régions n’apportera rien ou si peu aux réductions de dépenses publiques ». Pour lui, les économies varieraient de quelques centaines de millions à un milliard d’euros au maximum par an, soit... une « goutte d’eau ». Explication : sur un budget total de 25 milliards d’euros, 70% des dépenses des régions sont obligatoires (formations, transports, lycées...).

L’AVIS SÉVÈRE DE MOODY’S

De son côté, l’ARF, l’Association des régions de France, estime qu’il n’y a pas de grandes économies à attendre de ces fusions. La réforme pourrait même rimer avec de nouvelles dépenses, amenées par exemple par l’obligation de construire de nouveaux sièges régionaux et des antennes sur ces territoires immenses.

Chercheur au CNRS et spécialiste de l’organisation territoriale, Patrick Le Lidec estime quant à lui que pour tirer 10 milliards d’économies de la réforme, « des économies devront être faites sur des budgets de fonctionnement des collectivités et sur leurs investissements ». Le 9 juin, l’agence de notation Moody’s jugeait sévèrement la réforme. « Nous ne pensons pas que ces mesures vont générer des économies pour les collectivités locales dans les années qui viennent, car ces mesures ne font que redistribuer les coûts vers d’autres organes de l’État. » Par ailleurs, le transfert des anciennes compétences départementales aux régions « va faire faire quelques économies aux collectivités locales, mais sans de sérieuses réductions dans les coûts ». Dès le 27 mai, Moody’s soulignait que les collectivités devront réduire leurs dépenses de fonctionnement « d’environ 28 milliards » d’ici à 2017, cela pour compenser les baisses de dotations prévues par l’État. Or, ce programme de baisses « pourrait peser sur les investissements des collectivités et générer une augmentation de la dette de ces collectivités », soulignait alors Moody’s, notant qu’engager la réforme structurelle territoriale pourrait « partiellement compenser l’effet de la baisse des dotations sur les budgets locaux ». Les hypothétiques économies que l’État espère tirer du chambardement territorial serviraient-elles notamment à masquer son désengagement du territoire ?

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante