Diffamation et injure : un syndicat peut-il être poursuivi pénalement en tant que personne morale ?

Droit syndical par Secteur des Affaires juridiques

À la suite de ce jugement de la Cour de cassation, on pourra lire ici et là que les syndicats bénéficient désormais d’une immunité totale en matière d’injures et de diffamations par la voie de la presse, ce qui inclut les tracts et autres publications syndicales, y compris sur Internet. Pourtant, s’il est vrai que le syndicat en tant que personne morale ne peut être poursuivi pénalement, il est bon de préciser qu’une personne physique peut l’être. Responsabilité du syndicat non, des syndicalistes oui...

Selon l’article 121-2 du code pénal, les personnes morales [1], à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions [2] commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Cette règle n’est pas applicable en matière de crimes et de délits commis par la voie de la presse.

La Cour de cassation considère qu’un syndicat, en tant que personne morale, ne peut être poursuivi pour diffamation [3] ou injure (publique ou non publique) [4], l’article 43-1 de la loi du 29 juillet 1881 excluant une telle responsabilité. Dans plusieurs décisions, les hauts magistrats ont eu l’occasion de rappeler ce principe : « Aucune disposition de la loi du 29 juillet 1881 ni aucun texte ultérieur n’autorise la poursuite d’une personne morale du chef de diffamation ou d’injure. » (Cass. crim., 9 juin 2001, n°00-86667 ; Cass. crim., 10 septembre 2013, n°12-83672).

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision du 10 septembre 2013, une société poursuivait pour diffamation non publique l’auteur d’un tract, à savoir le délégué syndical et le syndicat dont ce dernier était issu. La société plaidait que l’exclusion de la poursuite des personnes morales se limitait aux crimes et délits commis par la voie de la presse. La diffamation non publique étant une contravention, le syndicat pouvait, selon la société, être déclaré pénalement responsable. Mais la cour d’appel de Paris, suivie par la Cour de cassation ne l’ont pas entendu de cette oreille. Pour la cour d’appel, le régime juridique de la contravention de diffamation non publique étant celui des infractions de presse, le syndicat, en tant que personne morale, ne pouvait pas être poursuivi pénalement. La Cour de cassation, suivant le même raisonnement que la cour d’appel, énonce qu’il se « déduit de l’article 43-1 de la loi du 29 juillet 1881 qu’en dehors des cas expressément prévus par les textes, les personnes morales ne sauraient encourir de responsabilité pénale à raison des contraventions de presse ».

Si le syndicat ne peut être poursuivi en tant que personne morale, l’auteur, personne physique, du tract ou de la publication syndicale peut être poursuivi pour diffamation ou injure. À savoir qu’un délégué syndical n’est pas nécessairement responsable des faits se rattachant à l’activité de la section syndicale ; il ne peut être poursuivi pénalement pour la diffusion d’un tract diffamatoire ou injurieux que s’il est établi qu’il a personnellement procédé aux actes de publication de l’écrit litigieux ou donné des instructions pour sa diffusion et son affichage (Cass. crim., 3 juin 1982, n°80-93590).

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Notes

[1Elle est dotée, comme la personne physique, de la personnalité juridique qui lui donne des obligations et des droits envers la société.

[2Action ou comportement interdit par la loi pénale, passible de sanctions et pouvant relever de trois catégories : contravention (tribunal de police), délit (tribunal correctionnel) et crime (cour d’assises).

[3« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé », et cela même « sous forme dubitative », ou non expressément nommé mais identifiable. Exprimée publiquement, elle constitue un délit, en privé une contravention.

[4« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait », selon l’article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. L’injure publique est un délit, non publique une contravention.