EDF sous le feu croisé de ses concurrents et de ses actionnaires

Actualités par Evelyne Salamero

Faut-il s’attendre à une augmentation de la facture d’électricité cet automne ? Plutôt deux fois qu’une. Et si, d’aventure, elle était annulée in extremis, elle arriverait tôt ou tard. Et plus on attendra, plus l’effet boomerang risquera de faire mal. Pourquoi ?

Alors que l’ouverture à la concurrence était censée créer un environnement favorable à la baisse des prix, les entreprises privées n’ont de cesse de pousser l’État à augmenter davantage les tarifs réglementés proposés par l’opérateur historique EDF. Ils cherchent ainsi à affaiblir ce concurrent et à le réduire à son rôle de vache à lait, puisque la loi NOME de 2010 oblige EDF à vendre à ses concurrents une part de l’électricité qu’elle produit au prix fixe de 42 euros le kWh…

Depuis le 1er juillet 2007, année où les entreprises privées ont été autorisées à fournir de l’énergie aux particuliers, deux types de tarification cohabitent : des tarifs réglementés fixés par les pouvoirs publics sur proposition de la CRE (Commission de régulation de l’énergie) [1] et des prix variant au gré des fluctuations du marché. Seuls les fournisseurs historiques (EDF et GDF –Suez) peuvent proposer des tarifs réglementés, mais ils s’appliquent à 92% des foyers, puisqu’une minorité seulement de français ont choisi de parier sur d’aléatoires et irrégulières baisses du prix de marché.

Régulièrement, le gouvernement, soucieux d’afficher de la bonne volonté en matière de pouvoir d’achat, modère en dernière minute et par décret les augmentations programmées du tarif réglementé. Mais chaque fois, l’ANODE (Association des fournisseurs alternatifs d’énergie), qui regroupe les concurrents d’EDF et GDF, dépose un recours auprès du Conseil d’État, qui ordonne un rattrapage, ce qui entraîne des hausses rétroactives sur les factures.

Le tarif de l’électricité devra augmenter de 30% d’ici 2017

Au total, l’ANODE a déposé douze recours depuis 2007. Dernier épisode en date : un arrêté du gouvernement paru au journal officiel le 31 juillet 2014 prévoit une facture de rattrapage cet automne après la décision du Conseil d’État d’annuler le plafonnement de la hausse des tarifs appliqué entre juillet 2012 et juillet 2013. Ce rattrapage concernera les 29 millions de foyers bénéficiaires du tarif réglementé d’EDF et ne devrait pas dépasser les 30 euros tente de rassurer le gouvernement qui a annoncé négocier un étalement sur 18 mois avec EDF. La CRE indique par ailleurs que l’annulation de la hausse de 10% prévue l’an dernier au 1er août 2013 devra également être rattrapée.De plus, après l’annulation de la hausse de 5% prévue au 1er août, le gouvernement a finalement indiqué qu’une augmentation interviendrait tout de même cet automne, bien qu’inférieure à 5%. Cette fois-ci, la fronde, immédiate, est venue des propres actionnaires d’EDF.

Le 19 juin, à peine la ministre de l’Énergie, Ségolène Royale, avait-elle annoncé l’annulation de la hausse au 1er août, que l’action d’EDF chutait spectaculairement de 7,69% à la bourse de Paris. Depuis la transformation d’EDF d’établissement public en Société anonyme en 2004, puis son entrée en bourse en 2005, les tarifs de l’électricité ont déjà augmenté de 30%.

Une augmentation du prix de l’électricité de 30% supplémentaires d’ici 2017 est à prévoir pour les particuliers et les petits professionnels, annonçait la CRE dès février 2013, soulignant que le prix du kWh français est inférieur à celui pratiqué dans les autres pays européens. Et ce, grâce à un parc de centrales nucléaires amorti de longue date (du temps où le “service public“ n’était pas encore côté en bourse) et produisant de grandes quantités d’électricité à moindre coût. Un tiers de cette hausse de 30% à venir devrait servir à investir dans le développement des sources de production d’électricité verte (photovoltaïque, éolien).

Cela pourrait être pire… De 2005 à 2013, les tarifs du gaz ont eux déjà augmenté de 60 à 80% depuis 2005, selon les sources. GDF a subi la même transformation qu’EDF, mais dans son cas, après sa fusion avec le grand groupe privé Suez, l’État est devenu actionnaire minoritaire alors qu’il détient toujours 84 % des parts du capital d’EDF.

Bientôt un tarif réglementé de l’électricité soumis aux fluctuations du marché ?

Les gouvernements successifs n’en subissent pas moins les pressions du système concurrentiel imposé par les directives européennes qu’ils ont eux-mêmes approuvées et qui les contraint à un bricolage permanent… Aujourd’hui, la ministre de l’Énergie Segolène Royal propose de réformer le mode de calcul des tarifs réglementés de l’électricité de manière à pouvoir tenir compte du prix de marché. Mais, si cela se traduirait dans l’immédiat par des baisses, qu’en serait-il demain ? Le propre du prix de marché n’est-il pas d’être fluctuant et donc précisément de n’apporter aucune garantie pour l’avenir ?

L’exemple des tarifs du gaz, pour la fixation desquels il est déjà tenu compte du prix du marché, n’est pas fait pour rassurer. LA CRE elle-même, tout en prônant une augmentation de la part du tarif indexé sur le marché de gros, a mis en garde contre une variabilité accrue des tarifs en fonction des saisons, le gaz étant plus cher en hiver, ce qui pourrait aussi se répercuter sur la facture finale du consommateur. Pour éviter un tel effet boomerang, le gouvernement s’est donné la possibilité, via un décret, de s’opposer à une hausse exceptionnellement forte. Un décret qui donnera lieu à une nouvelle annulation par le Conseil d’État ?

Le bénéfice d’EDF progresse, ses investissements diminuent

Ne pas mécontenter les actionnaires EDF ou ses concurrents par des prix trop bas, ne pas provoquer le mécontentement des usagers par des hausses de prix trop brutales… L‘État, actionnaire majoritaire de l’opérateur historique EDF, est confronté à la quadrature du cercle et les investissements d’EDF en font les frais. Certes, l’opérateur historique a annoncé le 31 juillet une progression de 8,3% de son bénéfice net à 3,1 milliards d’euros et ce malgré un chiffre d’affaires en repli de 3,8% du fait d’un hiver particulièrement doux. Mais ces résultats sont le fruit d’économies, qui se sont chiffrées à 1,3 milliard d’euros en 2013. Au premier semestre 2014, les dépenses d’exploitation ont baissé de 0,8%, et même de 1,8% en France intra muros. EDF a annoncé en février dernier qu’il réduirait progressivement ses investissements et continuerait à maîtriser ses coûts afin de générer à partir de 2018 une trésorerie positive après versement des dividendes à ses actionnaires en 2018. Du coup l’excédent brut d’exploitation est toujours attendu en hausse d’au moins 3% en 2014, a confirmé EDF, malgré l’annulation par le gouvernement français de la hausse de 5% du tarif réglementé de vente de l’électricité prévue le 1er août.

Evelyne Salamero Ex-Journaliste à L’inFO militante

Notes

[1Autorité administrative indépendante « chargée de veiller au bon fonctionnement du marché de l’énergie et d’arbitrer les différends entre les utilisateurs et les exploitants », créée en 2000