Écotaxe : une usine à gaz libérale

Privatisation générale par Mathieu Lapprand

Article publié dans l’action Dossier fiscalité

Privatisation de la perception de l’impôt, privatisation du droit de verbalisation, contrat léonin, c’est l’autre face de l’écotaxe : un Partenariat public-privé (PPP) qui ne passe pas.

« Le mode de recouvrement de l’écotaxe poids lourds, c’est le retour à la ferme générale », décrit un cadre supérieur des douanes et délégué de l’USD FO. Le parallèle a du sens : avant la Révolution française, une quarantaine de fermiers généraux percevaient sur tout le territoire les droits de douane –près de 50% des ressources publiques– et s’enrichissaient dans des proportions indécentes. Aujourd’hui, c’est le consortium Ecomouv’ qui a signé un contrat d’affermage avec l’État pour percevoir cette désormais fameuse écotaxe. La collecte de l’impôt est privatisée dans le cadre d’un partenariat public-privé, qui coûte très cher à l’État. Alors qu’en parallèle un poste de douanier est supprimé chaque jour. « Nous avons perdu près de 5 000 agents depuis 2003, soit le quart des effectifs », rappelle le délégué. La taxe poids lourds marque donc le retour, deux cent vingt-deux ans plus tard, d’une privatisation de la perception.

En France, la taxe poids lourds, dite écotaxe, fait suite à l’instauration d’une taxe allemande sur ses propres autoroutes pour les véhicules de plus de 12 tonnes dans le cadre de la directive Eurovignette. Cette taxe déporte alors une partie du trafic routier rhénan vers les routes nationales alsaciennes, les autoroutes françaises étant déjà payantes. Ainsi est née l’idée de taxer également la circulation pour les poids lourds sur ces routes secondaires. Ne restait plus qu’à repeindre le tout en vert. Objectif affiché : développer des modes de transport alternatifs... l’essentiel de la somme collectée servira pourtant à l’entretien des routes et à rémunérer un onéreux gestionnaire privé.

L’écotaxe, discutée dans le cadre du Grenelle de l’environnement, construite par Jean-Louis Borloo, prend forme dans un partenariat public-privé d’une durée de treize ans et trois mois, signé par Nathalie Kosciusko-Morizet en octobre 2011 avec le consortium Ecomouv’.

Vingt fois le coût de perception de l’impôt sur le revenu

Quel était le dispositif prévu pour cette écotaxe, suspendue par Jean-Marc Ayrault le 28 octobre ? Les véhicules de plus de 3,5 tonnes devaient s’enregistrer auprès d’Ecomouv’, notamment via les sociétés de télépéage. Les poids lourds se dotent d’un boîtier GPS permettant d’identifier les routes empruntées et de payer une taxe sur 15 000 km d’entre elles. Les portiques qui ont focalisé l’attention ne servent qu’à contrôler le fait que chaque camion est bien équipé d’un boîtier. Sur cette taxe, qui aurait dû rapporter 1,2 milliard d’euros, Ecomouv’ est censé en prélever 280 millions d’euros par an… pour ses frais. Un coût de recouvrement de 23%. Vingt fois plus que celui de l’impôt sur le revenu (1,2%) et cinq fois le coût de perception de la taxe à l’essieu pour les poids lourds (5%). « Rien n’interdisait qu’au lieu d’un PPP, l’État choisisse de faire travailler son administration », souligne le délégué FO.

Cerise sur le gâteau, les salariés d’Ecomouv’ auront le droit de verbaliser les poids lourds, par exemple s’ils sont flashés sous un portique sans avoir de boîtier GPS. « Depuis 1789, je n’ai connaissance d’aucune forme de privatisation de la capacité de verbaliser », précise le délégué. Le mécanisme de verbalisation est similaire à celui géré par le ministère de l’Intérieur pour les radars automatiques de vitesse. Les pouvoirs publics pouvaient donc aisément conserver la capacité de verbalisation à la force publique. Ils ont également choisi de l’externaliser…

Aujourd’hui l’éventuelle rupture du contrat avec Ecomouv’ pourrait coûter 800 millions d’euros d’indemnités à l’État. Le sénateur PS François Rebsamen a indiqué cette semaine vouloir réunir une commission d’enquête parlementaire sur la passation de ce marché décidément très désavantageux. La bataille autour de cette taxe est loin d’être terminée…

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante