Et l’ultralibéralisme TISA sa toile

InFOéco n°89 du 1er juillet 2014 par Pascal Pavageau

Article publié dans l’action Dossier Traités de libre-échange commerciaux

L’inFOéco n° 83 du 19 mai 2014 analyse le projet et les risques de « partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement » (PTCI), plus connu sous son acronyme en anglais TTIP, dont les négociations sont engagées depuis un an dans la plus grande discrétion.

Cette négociation est exclusivement portée par l’UE et non par les États membres, ce qui constitue un des premiers problèmes, notamment du fait de l’absence de transparence et de mandat clair que cela entraîne.

Une autre négociation internationale est menée de la même façon : alors qu’il pourrait entrer en application en 2015, le Tisa (projet d’Accord sur le commerce des services) est en cours de discussions ultrasecrètes entre 23 États [1].

Ce Tisa est négocié en secret par le commissaire européen au commerce sur mandat des États membres. En effet, la politique commerciale de l’UE est une compétence exclusive de l’Union, selon le Traité de Lisbonne. Les ministres des États membres de l’UE ont voté ce mandat en mars 2013.

Du coup, dans ces négociations TTIP ou Tisa, l’UE est considéré comme un pays à part entière [2].

Le Tisa s’inscrit dans une volonté de dérèglementation et de « libéralisation » de nombreux secteurs des services publics : santé, éducation, transports, énergie, eau, déchets, échanges de données (y compris publiques), etc. L’objectif poursuivi est d’élargir les dispositions de l’AGCS (accord général sur le commerce des services aussi connu sur les accords du GATS) aux secteurs qui en sont encore préservés.

Depuis déjà deux ans, les États-Unis, les États membres de l’Union européenne et une vingtaine d’autres pays avancent cachés et en secret total. Les réunions semblent se dérouler à Genève, dans les locaux de l’ambassade d’Australie [3].

Le 7e cycle de négociation s’est tenu les 28 et 29 juin.

Le gouvernement français n’évoque jamais cette négociation dans laquelle notre pays est, de fait via l’UE, engagé. Idem au niveau européen. Et pourtant (ou plutôt « parce que ») les conséquences d’un tel accord seraient catastrophiques : il s’agit ni plus ni moins que de retirer à la puissance publique sont droit à intervenir ou à règlementer ou à réguler dans presque tous les champs des services publics.

Cette « libéralisation » est d’une ampleur inégalée. En fait, elle serait presque absolue.

Comme commence à l’indiquer la presse européenne, ce projet de Tisa montre « l’ampleur de l’offensive engagée par Washington, suivi par les États membres de l’Union européenne pour permettre aux multinationales de truster, le moment venu, le commerce des produits financiers mais aussi celui de tous les services sur les grands marchés transatlantiques et transpacifiques, dont les négociations avancent dans la plus grande discrétion ».

Le lien entre TTIP et Tisa est évident, le second donnant un cadre mondial au premier.

Lorsque l’intervention publique s’effectue au niveau financier (BPI, PIA, subventions des collectivités, par exemple en France), le projet vise à restreindre au maximum la capacité d’intervention de la puissance publique et à faciliter l’autorisation des produits financiers dits « innovants », conçus pour contourner les règles bancaires et largement considérés comme responsables de la crise de 2008 [4].

Outre la privatisation des missions publiques, tout y passe : transmission sans restriction des données publiques ; accès sans discrimination pour une multinationale aux marchés des pays signataires dans les mêmes conditions que les prestataires locaux, y compris l’accès aux subventions publiques ; interdire toute nationalisation d’un service public privatisé.

Selon l’ISP (Internationale des services publics), ce traité « instaurerait un environnement favorable à la privatisation des services publics et entraverait la capacité des gouvernements à (re)nationaliser les services publics ou à en créer de nouveaux. L’accord limiterait aussi la capacité des gouvernements à légiférer dans des domaines tels que la sécurité des travailleurs, l’environnement, la protection du consommateur et les obligations de service universel ». [5]

Pour la privatisation des services publics, le projet envisagerait le principe de la « liste négative » : l’ouverture à la concurrence concernerait alors l’ensemble des secteurs, sauf ceux qui seraient expressément exclus par l’État signataire. En France, notre modèle social et la cadre républicain des services publics pourraient être totalement remis en cause.

Une des clauses stipule que tout droit national qui ne correspond pas à l’accord devrait tendre vers la mesure de celui-ci. Cette clause exige à l’ordre législatif national une direction en sens unique : il ne peut être que de plus en plus ouvert et ne jamais revenir en arrière. Avec les clauses de ce texte, il devient pratiquement impossible pour un État de revenir sur une libéralisation acceptée.

De fait, au nom d’un commerce mondialisé libre et non contraint, il s’agit d’interdire toutes notions de protectionnisme économique et de régulation.

Dans le Tisa, les États doivent s’assurer que les licences et les diplômes professionnels, les standards techniques et les normes de toutes sortes ne constituent pas des barrières excessives au commerce des services. Sur un plan social, l’une des conséquences du Tisa est que les États auront beaucoup de difficulté à réguler et règlementer, notamment en matière de sécurité des travailleurs, de normes environnementales, de protection des consommateurs et des services publics ou protection sociale collective. Avant d’adopter toute nouvelle norme, un pays sera obligé de prouver à l’avance qu’elle est absolument nécessaire et qu’elle n’est pas contraire au Tisa.

En février 2014, trop heureuse de ce libéralisme intégral, la Chambre de commerce des États-Unis officialisait quelques orientations et évaluait à 1 400 Mds de dollars ce nouveau marché. Pour la Chambre, « ce nouvel accord passionnant a le potentiel d’enflammer la croissance économique américaine. Les services sont clairement une force pour les USA qui sont de loin le plus grand exportateur mondial de services. Le Tisa devrait élargir l’accès aux marchés étrangers pour les industries de service. Le Tisa ne fera pas les gros titres de sitôt mais sa capacité à stimuler la croissance et l’emploi aux États-Unis est plus que significative ».

Depuis la découverte de l’ampleur et de l’avancée de ces négociations secrètes, la Confédération syndicale internationale a commencé à réagir et à intervenir.
Voir le communiqué de la CSI sur : http://www.ituc-csi.org/wikileaks-revele-la-veritable?lang=fr

En France, au niveau du gouvernement, aucune information n’est donnée. L’ampleur de ce projet est telle que ce silence complice est inadmissible.

De plus, chaque pays a du préciser début 2014 les secteurs qu’il envisage d’inclure dans l’accord, et les modalités qu’il propose concernant les ouvertures à la concurrence internationale de ces secteurs. Certains États les ont rendus publiques, comme la Suisse. En France, aucune officialisation de ce qui a été proposé pour l’instant…

Force Ouvrière revendique l’ouverture immédiate d’une information et d’une concertation de la part du gouvernement sur le projet de Tisa. Nous venons de l’obtenir sur le TTIP.

Achevé de rédiger le 1er juillet 2014

 Voir en ligne  : InFOéco n°89 du 1er juillet 2014 [PDF]

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière