Désamorcer le 4e paquet ferroviaire

Europe par Jamel Azzouz

Avec un quatrième texte sur « l’espace ferroviaire unique européen », la Commission de Bruxelles veut hâter la concurrence, sans entraves, sur tous les réseaux de transports publics du continent.

« L’obstination de l’Union européenne (UE) est sans limite lorsqu’il s’agit d’instaurer la concurrence “libre et non faussée” sur tous les marchés des biens et services à travers le continent. Son objectif étant de mettre à bas des monopoles publics qu’elle juge, quoi qu’il advienne, illégitimes, avant de les rendre illégaux pour mieux les livrer aux appétits du privé. » Le Secrétaire général de la Fédération FO des Transports, Patrice Clos, ne mâche pas ses mots quand on l’interroge sur le projet d’établissement au forceps de « l’espace ferroviaire unique européen », cher à la Commission de Bruxelles. Après les « premiers paquets ferroviaires », qui ont assis la concurrence dans le fret et le transport de voyageurs à l’international, la Commission travaille à la mise en œuvre d’un quatrième paquet, dont le but est notamment de fixer de nouvelles règles afin de superviser la circulation des matériels des opérateurs ferroviaires dans l’UE et d’hâter l’ouverture à la concurrence dans les transports publics ferroviaires et urbains, dont la RATP. Si jamais son projet devait passer tel quel, n’importe quelle entreprise aurait accès aux infrastructures ferroviaires des États membres et la possibilité de signer des contrats de services publics avec les autorités organisatrices des transports urbains, tout en lui facilitant les procédures liées aux certificats de sécurité après leur harmonisation au niveau de l’UE. Le Parlement européen, qui a examiné le projet fin février, a adopté un amendement devant permettre aux États d’exclure le rail urbain. « Confiant », le P-DG de la RATP a affirmé que la Régie française ne serait donc pas liée par ce quatrième paquet ferroviaire, même s’il faut rester « vigilant ». Connaissant les procédures d’adoption des textes communautaires, où c’est souvent la Commission qui a le dernier mot, Patrice Clos voudrait bien être aussi confiant, mais il a du mal, rappelant que l’adoption dudit amendement est intervenue dans le contexte de la campagne actuelle des élections européennes. « Il ne fallait surtout pas effrayer le citoyen électeur au moment où s’annonçait une nouvelle abstention record le 25 mai 2014 », souligne-t-il.

« On attend aussi de voir ce que donnera l’examen en première lecture de la réforme ferroviaire française, le 16 juin prochain à l’Assemblée nationale, sachant que celle-ci doit être mise en place au 1er janvier 2015, selon le calendrier du ministre des Transports », indique pour sa part Alain Beslin (FO-RATP). Selon lui, « une libéralisation totale du secteur se ferait forcément aux dépens des droits et de la sécurité des usagers et des agents ».

Dans son élan, la Commission européenne envisage aussi de revoir le règlement OSP (obligations de service public) auquel est soumise la RATP depuis le 3 décembre 2009. L’OSP garantit jusqu’à présent le statut d’ÉPIC et le caractère 100% public de la RATP.

Pour la Direction de la concurrence de l’UE, les aides financières octroyées aujourd’hui par les collectivités locales aux opérateurs de transport devraient être assimilées à des aides d’État entravant la concurrence. Elle vise en particulier les clauses de compensations financières accordées aux opérateurs. Elle pourrait dès lors les considérer comme des aides publiques illégales et non plus comme une subvention indirecte aux usagers leur permettant de bénéficier d’un service public digne de ce nom. L’OSP permet également à la RATP de rester propriétaire de ses infrastructures (tunnels, stations, centres bus, voies RER, siège social, etc.). Et ce, même si depuis 2004 c’est la Région Île-de-France qui est propriétaire des matériels (autobus, tramways, métros et RER) via le STIF, son Syndicat des Transports d’Île-de-France, l’autorité organisatrice des transports franciliens. De même, il maintient son monopole d’exploitation sur les réseaux existants jusqu’en 2024 pour le bus, 2029 pour le tramway et 2039 pour le métro et le RER. Enfin, l’OSP permet aux personnels de garder leur statut et leur niveau de protection sociale (retraite, complémentaire santé, etc.). Le danger pour leur statut et celui de leur entreprise dépendrait également de l’issue du contentieux devant les juridictions de l’UE, où la France vient de faire appel d’une décision rendue le 3 avril dernier. Laquelle estime que le statut d’ÉPIC à la française donne une « garantie financière implicite et illimitée » de l’État qui protégerait de toute faillite (voir FO Hebdo n°3113, du 16 avril 2014).

Jamel Azzouz Journaliste