Deux événements majeurs se sont produits en 2013 dans le monde de l’industrie textile mondialisée, dont le centre de gravité se trouve aujourd’hui en Asie. Le 24 avril 2013, un bâtiment industriel de la banlieue de la capitale du Bangladesh, Dacca, s’effondrait, causant la mort de 1 135 ouvriers et ouvrières et en blessant 2 000. Le Rana Plaza abritait des ateliers textiles travaillant pour de grandes marques occidentales. Les failles murales qui ont conduit à l’écroulement de l’immeuble avaient été signalées à plusieurs reprises par les travailleurs. Les jours suivants furent marqués par des grèves et des manifestations monstres pour dénoncer ce que la foule désignait comme un meurtre, allant jusqu’à exiger l’exécution des propriétaires de l’immeuble, mais aussi pour revendiquer une augmentation des salaires. Dans ce pays musulman, les femmes, qui constituent l’essentiel de la main-d’œuvre dans le secteur textile, formaient le gros des bataillons dans les cortèges. Au vu des « troubles au sein de la main-d’œuvre », pour reprendre l’expression de l’organisation patronale locale, l’Association des entreprises textiles exportatrices du Bangladesh (BGMEA) décidait la fermeture temporaire de toutes les usines travaillant pour les grandes marques occidentales. Quelque 150 d’entre elles acceptaient alors de signer un accord, sous l’égide de l’OIT (Organisation internationale du travail), avec les organisations syndicales internationales –l’IndustriALL Global Union et l’UNI Global Union–, qui prévoit l’inspection de 1 500 usines d’ici à septembre 2014 sur les 5 000 que compte le pays. L’OIT a également créé un fonds d’indemnisation pour les victimes du Rana Plaza. À ce jour, elle a reçu un tiers de la somme qu’elle attendait (29 millions d’euros). H&M, le principal donneur d’ordre au Bangladesh, n’a participé au fonds créé par l’OIT qu’à hauteur de 100 000 dollars (72 500 euros). Et le « secteur textile est toujours marqué par l’absence de salaire décent, ainsi que par l’absence de véritable liberté syndicale », constate la Fédération internationale des droits de l’homme. Dans les ateliers, la durée du travail peut toujours atteindre 100 heures par semaine. Souvent les ouvriers travaillent à même le sol.
Grève générale au Cambodge
Le deuxième événement a eu lieu au Cambodge, où la liberté syndicale est plus importante. Le 24 décembre 2013, en quelques heures, alors que le gouvernement venait d’annoncer qu’il n’augmenterait pas le salaire minimum au-delà de 95 dollars américains, ignorant la demande des travailleurs et de plusieurs organisations syndicales de le porter à 160 dollars américains, des centaines de milliers de salariés sortaient dans les rues. Ils commençaient ainsi un mouvement de manifestations et de grèves sans précédent dans l’histoire du pays, de par son caractère spontané, qui allait déboucher, malgré une répression sanglante, sur une grève générale le 29 décembre. « Nous avons été très surpris car d’habitude nous devons discuter avec les ouvriers pour les convaincre de se joindre aux grèves. Normalement nous écrivons des courriers au gouvernement et aux employeurs pour leur notifier notre intention d’appeler à la grève. Mais cette fois, les ouvriers étaient en grève avant même que nous ayons pu le faire », témoignait Ath Thorn, président du syndicat indépendant C.CAWDU, le 17 janvier 2014 [1]. Mais les plus surpris ont certainement été le gouvernement et les multinationales. Le 26 mai dernier, Industriall Global Union, « en compagnie de huit marques de niveau international », dont H&M, GAP, Puma, Levi’s et Inditex, a rencontré le gouvernement cambodgien. Jy Raina, le Secrétaire général d’IndustriALL, qui représentait également la CSI (Confédération syndicale internationale) et UNI Global Union, indiquait : « Pour la première fois des marques internationales ont confirmé qu’elles sont prêtes à payer le prix des salaires plus élevés au Cambodge. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement et des propriétaires d’usines pour se mettre autour de la table et s’accorder sur un nouveau mécanisme de fixation des salaires ». Ce jour-là, les marques sont même allées jusqu’à exprimer leur « préoccupation » s’agissant du procès de 23 ouvriers arrêtés durant la grève de décembre et encourant cinq ans de prison ferme et en soutien desquels une campagne syndicale internationale était en cours, indiquant que « leurs procès devaient se fonder sur des preuves et être irréprochables sur le plan des attentes internationales ». Quatre jours plus tard, le 30 mai, la justice cambodgienne condamnait les détenus à des peines de prison avec sursis et ordonnait leur libération à l’issue de la procédure. Pour l’instant, le salaire minimum au Cambodge n’a pas atteint le niveau revendiqué par les ouvriers du textile. Mais le gouvernement et les multinationales sentent le vent tourner.