« Marché de dupes », « pacte austère d’unité nationale »… Vous ne trouvez aucune vertu au pacte de responsabilité ?
Non, sur la méthode et sur le fond. Quand on parle de confiance, comme le président de la République l’a fait, on discute avec ses interlocuteurs avant de lancer une idée. Or, nous avons découvert le pacte de responsabilité le 31 décembre. Quand on procède ainsi, on ne peut pas parler de dialogue social. Sur le fond, le président annonce des allégements de charges pour les entreprises d’un montant de 30 milliards d’euros et il demande aux syndicats et au patronat de discuter des contreparties en termes d’emploi et de rémunération. Or, personne ne peut imposer à une entreprise d’augmenter ses effectifs ou ses salaires. Et quand je regarde le relevé de conclusions, cet objet juridique non identifié, qu’est-ce qu’il y a comme engagements ? Rien. C’est un recyclage de l’agenda social paritaire de novembre 2013. Ce n’est donc qu’un pacte de complaisance.
En ne signant pas le relevé de conclusions, vous vous excluez de l’Observatoire tripartite sur le suivi du pacte. Est-ce que vous négocierez dans les branches ?
Sur l’Observatoire, je n’en sais rien, mais je n’en fais pas un drame s’il est réservé à ceux qui sont entrés dans ce mécanisme de complaisance. Sur le chômage, on ne tapera dans le dur que lorsque la croissance économique sera de 1,6 %. Si la croissance repart et que dans un an le chômage diminue vraiment, le président en attribuera le mérite au pacte mais personne ne pourra le démontrer. S’il n’y a pas de reprise, il dira que c’est la faute au patronat. Le pacte n’est pas une holding qui va coiffer toutes les négociations ou délibérations. Dans les branches, ce sera à nos fédérations de se positionner.
Vous refusez de prendre en compte « l’intérêt général » et de céder aux « sirènes de la soi-disant responsabilité ». Mais quand la crise économique et sociale est d’une telle gravité, n’est-il pas nécessaire que le patronat, les syndicats et l’État cherchent ensemble des solutions ?
Nous ne sommes pas gestionnaires de l’intérêt général. Nous n’avons pas vocation à gérer les entreprises ou l’État. Nous représentons les intérêts matériels et moraux des salariés. Cela ne veut pas dire que nous ne nous préoccupons pas de la société. Quand nous disons non au pacte, nous sommes responsables car nous sommes dans notre rôle syndical. La responsabilité n’est pas d’être béni-oui-oui. Penser, c’est aussi savoir dire non. Nous sommes prêts à chercher des solutions avec le patronat, il n’y a pas de tabou. Mais si l’objectif est d’arriver à un diagnostic partagé, par exemple, sur la réduction du coût du travail, notre réponse est non.
Le grand compromis social de François Hollande, c’est de la compromission ?
Sur le pacte de responsabilité, oui. Quand on appelle à un grand compromis social, la moindre des choses c’est d’en discuter et non d’asséner une vérité.
Vous réclamez une autre politique basée sur la relance du pouvoir d’achat, le développement des services publics et des investissements industriels. Vous tenez pour nulle et non avenue la réduction des déficits publics ?
Aujourd’hui, une bonne partie des décisions relève de l’Europe. Nous sommes européens, mais nous sommes critiques sur la manière dont l’Europe se construit. Quand on a une monnaie commune, un État n’a plus la mainmise sur la monnaie. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas de marge de manœuvre mais la France s’est placée en situation de dépendance en signant le pacte budgétaire européen. On met bien plus l’accent sur les 3 % de déficit budgétaire que sur l’envolée de la dette publique. On est dans une logique comptable.
Vous parlez de « résistance », de « défense » et de « maintien » des acquis sociaux. Ne craignez-vous pas de donner l’image d’un syndicalisme préférant le confort de l’immobilisme à l’audace de la réforme ?
Non. Dans les périodes de crise, une part importante de l’activité syndicale est une activité de résistance. Résister, c’est un élément de progrès. On n’accepte pas que les salariés paient les conséquences d’une crise dont ils ne sont pas responsables. L’austérité est économiquement, socialement et démocratiquement suicidaire.
Vous êtes contre les réformes de l’État-providence ?
Je n’aime pas cette formule. On est dans une logique de réduction coûte que coûte du déficit budgétaire sans se préoccuper de la protection sociale et des services publics. Nous sommes très attachés aux valeurs de la République. L’égalité républicaine, c’est l’égalité de droits. Nous sommes prêts à débattre sur le financement des allocations familiales. Mais, là on annonce une baisse des cotisations patronales sans aucun débat. On nous dit que cela n’aura pas d’incidence sur les prestations, eh bien j’en doute.
FO a offert longtemps l’image d’un syndicalisme prompt à signer des accords. Aujourd’hui, vous faites la grève du stylo ?
On ne fait pas la grève du stylo. Je suis un homme tranquille, je n’ose pas dire une force tranquille mais pourquoi pas ? Nous sommes partisans de la négociation car c’est un élément de l’indépendance syndicale. Nous ne rentrons jamais dans une négociation en disant qu’on va signer ou non. Ce qui compte c’est le contenu de l’accord. C’est ainsi que nous avons signé récemment sur les retraites complémentaires et la formation
La mobilisation du 18 mars est-elle dirigée contre le pacte de responsabilité alors que la CGT et la FSU étaient réticentes ?
Dans l’appel, il y a une critique du pacte de responsabilité. L’accent est mis sur l’emploi, le pouvoir d’achat, la protection sociale et les services publics mais tout est lié. FO va confirmer son opposition au pacte de responsabilité.
En 2013, vous avez manifesté avec la CGT contre l’accord sur l’emploi et la réforme des retraites avec un faible écho. Ne craignez-vous pas qu’il en soit de même le 18 mars, surtout à cinq jours du scrutin municipal ?
Je suis assez optimiste car il y a plus d’appels à des grèves et à des manifestations que d’habitude. A un moment donné, quand trop c’est trop, il faut qu’il y ait une expression sociale, c’est mieux pour la démocratie.
La CGT est votre nouvelle meilleure amie ?
Non, l’histoire est tenace. Quand nos positions concordent avec celles d’autres confédérations, on est dans l’action commune. Cela n’anticipe en rien je ne sais quelle recomposition du paysage syndical.
La CFDT est-elle votre adversaire ?
Ce n’est pas un adversaire mais elle a un côté syndicat officiel. Elle tamponne tout, c’est son choix. Depuis l’élection présidentielle, elle n’a rien refusé.
Votre prédécesseur à la tête de FO, André Bergeron, parlait à son sujet de « parti syndical »…
Ce n’était pas une mauvaise formule. La CFDT pense qu’elle peut gérer les entreprises aussi bien que les patrons et l’État aussi bien que les politiques. Ils sont cogestionnaires, dans une logique d’intérêt général. On ne pratique pas le même syndicalisme.
Vous êtes toujours membre du Parti socialiste ?
Je ne m’en suis jamais caché. Ce n’est pas un secret d’État. Mais cela ne joue pas sur les positions de FO.
Pour vous, M. Hollande a-t-il pris des mesures positives ?
FO n’est pas dans une logique d’opposition politique. Nous considérons qu’il n’y a pas eu de rupture sur la politique économique. On a obtenu des choses – un nouveau commissariat au Plan, le crédit d’impôt pour les syndiqués, les mesures sur les stages ou les travailleurs détachés. Mais le président a eu tort de parler de compromis historique. L’histoire se juge après, pas avant.
Propos recueillis par Michel Noblecourt