Jean-René Bernaudeau : « Un Français gagnera le Tour avant dix ans »

Le Tour Entretien par Baptiste Bouthier

Il a disputé dix Tours de France de suite, de 1978 à 1987 (cinquième et meilleur jeune en 1979), et depuis 2000 il dirige chaque année son équipe Europcar sur les routes de la Grande Boucle. Jean-René Bernaudeau est un acteur majeur du Tour depuis plus de trente ans, mais il aime toujours autant la magie de juillet.

FO HEBDO : En trente-cinq ans, qu’estce qui a le plus changé sur le Tour ?

JEAN-RENÉ BERNAUDEAU : Incontestablement, la mondialisation du cyclisme. À mon époque, les Italiens couraient le Giro, les Espagnols la Vuelta et les Français le Tour, avec des Belges et des Italiens. Aujourd’hui c’est un sport mondialisé, on ne peut pas comparer ces deux époques. Il y a des Asiatiques, des Africains... Cela se ressent dans les enjeux, les budgets et la façon de courir : c’était bien plus facile. Aujourd’hui, le Tour de France c’est vingt et une classiques d’affilée. L’organisation n’a plus rien à voir. Quand j’ai remporté le maillot jaune sur le Tour 1979, j’ai dû me débrouiller pour rentrer à l’hôtel, seul, à Luchon. Aujourd’hui il y a tout un protocole, on est sans cesse escorté. À l’inverse, ce qui n’a pas changé c’est le public, qui est même plus nombreux que jamais. L’effervescence est énorme.

Comment expliquer cet engouement croissant, malgré les affaires de dopage et le spectacle pas toujours au rendez-vous ?
C’est le patrimoine ! Le Tour de France fait partie de l’histoire de France. C’est très bien filmé par la télé, on ne s’ennuie pas, en tout cas moins que sur certains matchs de tennis ou de foot, on voit à quel point la France est un pays magnifique, et puis il y a des passes d’armes imprévisibles, qu’on ne peut pas louper. C’est un spectacle long, ça crée l’envie de regarder le feuilleton.

En 1985, vous étiez dans le peloton lors du dernier succès de Bernard Hinault sur le Tour. Pourquoi aucun Français n’a réussi depuis à lui succéder ?
Aujourd’hui il y a des coureurs américains, une équipe australienne… tout cela n’existait pas à l’époque. Combien de Français au départ du Tour, chaque été, par rapport à mon épo - que ? C’est un début de réponse. Mais cela va arriver avant dix ans. Il y a quelques coureurs de très haut niveau comme Romain Bardet, Thibaut Pinot, et d’autres arrivent. On a une génération avec beaucoup de champions du monde juniors et espoirs, et beaucoup de coureurs polyvalents.

Ce successeur peut-il venir de votre équipe ?
Pour l’instant j’ai un sprinteur exceptionnel, Bryan Coquard, mais pas de coureur polyvalent. Pierre Rolland arrive dans ses bonnes années, je pense que l’on peut espérer un podium du Tour très vite. Mais la marche vers la victoire est haute : les vainqueurs du Tour, ces dix dernières années, ont toujours eu des équipiers de très haut niveau autour d’eux.

Dans ce cyclisme-là, avoir une équipe à forte identité régionale, comme la vôtre, ancrée en Vendée, avec notamment votre centre de formation, le Vendée U, n’est-ce pas devenu une anomalie ?
D’abord, c’est moi le patron, donc il est important que je prenne du plaisir. Et je ne veux que des gens bien éduqués ! Ce n’est pas anachronique, la preuve : on est l’équipe française la plus populaire du Tour, et souvent la meilleure. Et puis on n’accueille pas que des Vendéens, mais des gens de partout. Mais aujourd’hui, c’est vrai, c’est dangereux car je ne suis pas à l’abri que quelqu’un vienne avec un carnet de chèques et me pique tous les jeunes que j’ai formés.

Les aveux de Lance Armstrong ont-ils eu un impact sur l’engouement des jeunes ?
Non, car Armstrong est un voleur comme il y en a dans tous les métiers. On leur explique que l’affaire Armstrong c’est une bonne nouvelle parce que ça veut dire que la lutte antidopage marche. Qui voudrait être à sa place aujourd’hui ?

Que diriez-vous à un jeune qui hésite à croire en sa passion, à aller plus loin dans le vélo ?
Je lui dirais que c’est un sport fabuleux, un sport de découverte, où l’on voyage beaucoup. Prétendre qu’il ne faut pas faire du vélo à cause des problèmes, ça ne tient pas. Ou alors il ne faut plus faire aucun sport car le cyclisme n’est pas plus touché par le dopage qu’un autre. ■