Le prix de transfert… le bouclier du CAC 40

InFOeco n°30 du 1er septembre 2011 par Pascal Pavageau

Article publié dans l’action Dossier fiscalité

Lors de l’entrevue du 26 août 2011 avec le Premier ministre après son annonce d’un nouveau plan d’austérité, Force Ouvrière a notamment réaffirmé la nécessité d’une réforme d’ensemble de la fiscalité, et dénoncé la super niche Copé [1] ainsi que l’évasion fiscale réalisée via les prix de transfert.

Pour l’instant, le gouvernement français semble peu s’intéresser à cet outil de stratégie fiscale utilisé par les entreprises pour minimiser leurs impôts sur les sociétés.

Selon la définition de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les prix de transfert sont "les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées". Le ministère du Budget précise que le prix de transfert désigne « tout flux intragroupe et transfrontalier (achat et vent de biens, de services, redevances, intérêts, garantie, honoraires, cession ou concession de biens incorporels tels que les marques, brevets, savoir-faire), refacturation ».

Le prix de transfert correspond donc à une opération transfrontalière de vente de biens ou de services réalisée et facturée entre une firme et des entreprises associées (filiales, succursales, sous-traitants, etc…), qu’elle contrôle ou qui la contrôlent en droit ou en fait, située à l’étranger .Bien que les entreprises constituant un groupe soient liées entre elles, elles doivent se comporter dans leurs relations commerciales et financières comme si elles constituaient des entreprises distinctes afin de respecter le « principe de pleine concurrence » posé par l’OCDE.

Or, si les groupes de sociétés sont censées aligner le prix de leurs transactions sur celui du marché, les prix convenus entre ces sociétés n’obéissent pas en réalité à la loi de l’offre et de la demande. Les entreprises (de toutes tailles) utilisent les prix de transfert pour répartir leurs recettes et charges au sein du groupe qu’elles forment en exploitant les disparités des différents systèmes fiscaux des États afin de réduire leur charge fiscale globale et de maximiser le profit net global.

Ainsi, par exemple, une société située dans un pays à fort taux d’imposition va importer des biens provenant d’une filiale qui aura majoré leur coût d’acquisition et les exportera ensuite vers une autre filiale, implantée dans un pays à faible fiscalité ou dans un paradis fiscal, à un prix de cession très bas. Cette opération va lui permettre d’augmenter ses coûts et de réduire ses recettes. Son bénéfice soumis à impôt sera en conséquence moins important.

Le mécanisme des prix de transfert permet donc aux firmes de transférer artificiellement, via des structures spécialement constituées et souvent fictives, leurs revenus vers des pays où la fiscalité est faible et leurs dépenses vers ceux où l’impôt est élevé.

La manipulation des prix de transfert ne se limite pas à la manipulation des prix des transactions internes. Le paiement de redevance (pour utilisation de brevets ou de licences) et de royalties peut dissimuler le rapatriement vers la société mère des bénéfices de sa filiale à un moindre coût fiscal.

Le prix de transfert constitue donc une opération technique très complexe de minimisation de la charge fiscale et de contournement du droit fiscal interne.

Si la manipulation des prix de transfert constitue un enjeu important pour les finances publiques c’est que le commerce international a connu ces dernières décennies une croissance spectaculaire, soutenue par un large mouvement de mondialisation de l’économie et un progrès rapide des moyens de communication. Au fur et à mesure de la dérèglementation, du démantèlement des barrières douanières et de l’ouverture des marchés selon un ultralibéralisme forcené, des sociétés se sont progressivement internationalisées afin de profiter d’avantages compétitifs, augmentant ainsi les flux des transactions commerciaux et financiers intragroupe. 60% du commerce mondial est désormais constitué par des échanges entre filiales !

Le manque à gagner fiscal pour les États s’avère gigantesque. Selon les estimations économiques, le coût des manipulations des prix intragroupe s’élèverait chaque année à un manque de plus de 125 milliards d’euros de recette fiscale pour les États du Sud du globe, soit la somme estimée nécessaire par les Nations-Unies pour réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015.

En ce qui concerne la France, aucun chiffre n’a été communiqué par les services du ministère du Budget (impossibilité à évaluer le montant de l’évasion ou rétention d’informations ?), il est néanmoins possible d’estimer que le coût de cette pratique d’évitement de l’impôt se chiffre, pour la France à plusieurs centaines de millions d’euros chaque année. A cet égard, le Conseil des prélèvements obligatoires soulignait, en 2009, que le taux effectif d’imposition moyen des entreprises est de 18% mais qu’il est de 8% pour les sociétés du CAC 40 qui ont des filiales dans des pays à fiscalité faible ou proche de zéro.

Pour Force Ouvrière, la prise de conscience de l’importance de l’évasion fiscale doit être une priorité des gouvernements et de l’Europe. Il est anormal que le manque à gagner pour les recettes publiques (et donc le financement des politiques publiques, des services publics et des aides sociales) de ces prix de transfert demeure inconnu du ministère du budget !

La création d’un cadre règlementaire international, le renforcement du dispositif de contrôle par l’institution de l’obligation documentaire en matière de prix de transferts à la charge des entreprises, l’amélioration de la coopération administrative inter-États et la création de la procédure judiciaire d’enquête fiscale sont aujourd’hui nécessaire pour obtenir, à tous les niveaux, l’arrêt de cette forme de spéculation et de vol (qui renforce le dumping social) et une meilleure répartition des richesses produites.

Achevé de rédiger le 1er septembre 2011

Pascal Pavageau Ex-Secrétaire général de Force Ouvrière