De Charybde en Scylla : Le plan social invisible de la Fonction publique

Modernisation de l’Action Publique par Mathieu Lapprand

Article publié dans l’action Dossier MAP (Modernisation de l’action publique)

Du Comité interministériel pour la Réforme de l’État de Jacques Chirac à la MAP de François Hollande, en passant par la RGPP de Nicolas Sarkozy, les attaques brutales contre les services publics se succèdent et s’amplifient. Usagers, agents et territoires sont les victimes de choix politiques peu médiatisés mais aux conséquences profondes.

Deux heures d’attente en file indienne dehors en plein automne, puis encore deux heures et demie d’attente à l’intérieur, c’est ce qu’ont vécu les contribuables qui se sont rendus dans leur centre des impôts de Tolbiac », décrit Dominique Edon-Guillot, secrétaire départementale de FO Finances Paris. « Certains contribuables souhaitent simplement négocier un délai de paiement… qu’ils n’obtiendront pas forcément, après quatre heures trente d’attente. Je vous laisse imaginer le niveau de tension dans un centre bondé. Cette situation est nouvelle, précise-t-elle, quarante-trois points d’accueil des impôts ont disparu à Paris depuis deux ans ; plusieurs services ont été mutualisés, fusionnés, mais surtout réduits et sous-dimensionnés. » À l’arrivée, les citoyens sont perdants en qualité de service, les incivilités s’accroissent et les conditions de travail deviennent insupportables pour les agents. Dans certains centres, les agents ne prennent plus de pause déjeuner ou bien un sandwich en dix minutes faute d’effectifs... Les accueils doivent désormais être ouverts à midi, mais dans certains centres le nombre d’agents ne permet pas de dégager le temps de roulement nécessaire. Cette réorganisation à la hache est une des facettes de la politique de Modernisation de l’action publique, appelée MAP. C’est la conséquence de l’une des centaines de mesures qui ont déjà été arrêtées sans concertation. D’autres mesures imposent par exemple la suppression de cinquante à quatre-vingts sous-préfectures, de cinq commissariats et les fusions de directions départementales interministérielles (créées en 2010 et déjà issues de regroupements). La MAP prend la suite et amplifie la Révision générale des politiques publiques (RGPP) mise en place par Nicolas Sarkozy en 2007, qui s’est traduite par une dégradation de la qualité du service rendu aux citoyens et des conditions de travail des fonctionnaires.

FO dénonçait dès 2010 les conséquences très concrètes, sur la sécurité des usagers et des agents, des politiques de coupes aveugles menées dans les effectifs et missions de l’État. La contestation de la RGPP était partagée par l’opposition de l’époque. Mais le coup d’arrêt à la Révision générale des politiques publiques promis par le candidat Hollande n’aura pas tenu six mois après l’élection. Lors du premier Collectif interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 12 décembre 2012, le gouvernement annonce finalement la poursuite des 300 mesures non abouties de la RGPP, sur les 561 mesures prévues par le gouvernement Fillon.

LES TROIS FONCTIONS PUBLIQUES VISÉES

Mais la continuité dans la réduction de l’État est amplifiée dès cette date par 50 premières mesures dites de simplification. Depuis se sont ajoutées 99 nouvelles mesures au cours des trois CIMAP qui se sont déroulés courant 2013. Aucune concertation avant ces annonces qui, floutées par une communication très technique et rébarbative, ont des conséquences importantes sur la désorganisation des administrations. Les Programmes ministériels de modernisation et de simplification (PMMS) font partie de la MAP. Chaque ministère est invité à dire quelles réformes structurelles (fusion, suppression de postes…) il envisage. Contrairement à la RGPP, pour laquelle Bercy imposait les coupes à effectuer, dorénavant chaque ministre doit décider de quel service il veut se priver ou priver les administrés. Une forme d’automutilation avec à la clé des pertes de compétences, d’expertise, de moyens d’action dans de nombreux domaines pour l’État. FO a toujours rappelé que la simplification pouvait être souhaitable et utile, mais qu’elle supposait préalablement un débat sur les missions et les contrôles afin de garantir le service public républicain.

Or la simplification est ici prétexte à des économies budgétaires dictées par une politique d’austérité.

Si la RGPP se concentrait sur la fonction publique d’État, la MAP, elle, met en œuvre cette politique sur les trois fonctions publiques : d’État, territoriale et hospitalière. Le but affiché est d’améliorer les services publics,mais aussi de « permettre de dégager de nouvelles économies budgétaires » pour tenir les engagements gouvernementaux de réduction des dépenses publiques.

MAP= MESURES D’AUSTÉRITÉ EN PLUS

Tous les secteurs sont donc exposés. Sous couvert de simplification, on dématérialise à tout va sans jamais se soucier de la fracture numérique qui, notamment en zone rurale, est criante pour les usagers. Et si le numérique peut convenir à certains traitements simples, dès que l’usager a un problème spécifique, il faut un humain pour le traiter.

Le dernier CIMAP s’est tenu en décembre, mais les vœux présidentiels d’amplification de l’austérité augurent probablement de nouvelles mesures pseudo-modernisatrices mais effectivement régressives. « Une mesure idéologique qui vise à casser structurellement l’ensemble des services publics de ce pays pour faire la démonstration que les services publics ne peuvent plus fonctionner… et les transférer au secteur privé. C’est de l’idéologie, pas du gain effectif de dépenses publiques. » C’est en ces termes que Pascal Pavageau, Secrétaire confédéral de FO, dénonçait la RGPP dans une émission diffusée sur le site d’Arrêts sur Images le 6 mai 2011. Les sigles passent, certaines idéologies demeurent.


CIMAP

Collectif interministériel pour la modernisation
de l’action publique, rassemble le gouvernement sous la présidence du Premier ministre.

++++PMMS

Programmes ministériels de modernisation et de simplification.

++++RGPP

Révision générale des politiques publiques.

Mathieu Lapprand Journaliste à L’inFO militante